Comment expliquer ce passage d’un habituel paternalisme médical à l’autonomisation des patients ? Trois facteurs semblent avoir influencé le glissement dans l’exercice du pouvoir médical et le changement de comportements des consommateurs de soins de santé : d’une part les contraintes économiques qui pèsent sur les systèmes de santé, d’autre part les changements d’attitudes dans la relation soignant soigné, et enfin le développement d’internet et de la santé numérique.
Les contraintes économiques
Du fait du fort développement des maladies chroniques, du vieillissement de la population et des couts de plus en plus élevés des nouvelles thérapeutiques, les systèmes de santé auront de plus en plus de mal à financer les soins. Les patients sont donc incités à participer aux financements des couts de santé, soit directement, soit indirectement, en prenant part aux décisions en matière de soins de santé.
De nombreuses études (1) montrent que des patients éduqués sont en mesure de prendre des décisions pertinentes concernant leur santé, produisent de meilleurs résultats en termes de morbidité et mortalité, et contribuent aux réductions drastiques des dépenses de santé. Un sujet éduqué et responsabilisé peut donc contribuer à la diminution des couts, en particulier lors de maladies chroniques.
La participation d’un sujet éclairé aux décisions le concernant facilite la compréhension des avantages et inconvénients des options thérapeutiques possibles, facilite les décisions sur des attentes réalistes et en accord avec les valeurs de la personne, et accroît l’implication des sujets. Les contraintes économiques incitent de multiples disciplines médicales et paramédicales à travailler ensemble pour le plus grand bénéfice du sujet malade et du système de soin.
Ces contraintes économiques incitent également les sujets malades à se tourner vers d'autres sources de soins, plus faciles d’accès, moins chers et plus pratiques. Ces sources de soins se trouvent parfois dans le champ d’intervention des professionnels de santé (pharmacie et parapharmacie, infirmier, kinésithérapie…etc.) et parfois dans le périmètre d’action des très nombreuses médecines dites « complémentaires et alternatives ». Trouver le professionnel de santé adapté, compétent et éthique parmi les centaines d’offres (naturopathie, magnétiseur, aromathérapie,…etc.), peut devenir un parcours fort difficile pour le sujet et sa famille lorsqu’ils ne disposent pas de points de repère lui permettant de distinguer le professionnel du charlatan. Aux USA, des sites officiels apportent des informations aux patients sur l’état des connaissances concernant ces approchent alternatives et complémentaires.
La relation soignant-soigné, la patience change de camps
Les relations soignant-soigné ont bien évoluées au cours des dernières décennies. Pour Donald Berwick (2) l’histoire des soins de santé peut être divisée en trois périodes distinctes. Pendant longtemps le médecin auréolé de son titre, était le seul détenteur du savoir médical et ses prescriptions comme ses recommandations ne pouvaient être remises en cause par le patient. De nos jours le patient devient un client qui attend des professionnels de santé des résultats objectivables et mesurables, quitte à exprimer son mécontentement devant les tribunaux en cas d’insatisfaction. Ce qui se dessine pour le futur est un partenariat entre soignant-soigné, en matière de traitement comme de prévention. Cette troisième situation implique une évolution des rôles soignant-soigné, avec un partage du pouvoir qui n’est possible que dans un cadre relationnel de protection et de confiance mutuelle. Dans certains services de soins, les patients seront considérés comme des parties prenantes de l’équipe soignante.
Dans leur article « Informed Patient Choice: Patient-Centered Valuing of Surgical Risks & Benefits » ; James Weinstein et ses collègues (3) proposent de passer du principe du consentement éclairé au processus de choix éclairé. Ce processus devrait comprendre : a) l’apport d'informationjuste et basée sur des preuve (ou leur absence d'information probante) concernant les options possibles, en utilisant les aides à la décision comme complément lorsqu'elles existent ; b) un échange sur des avantages et des risques de chaque option et la probabilité qu'ils se concrétisent, en utilisant un cadre et un langage compréhensibles pour le patient ; c) la mise à jour et la clarification des valeurs du patient et de ses préférences dans la prise de décision ; d) et une décision thérapeutique partagée à la suite d'une discussion entre le clinicien et le patient.
Si ce processus de choix éclairé est réservé à la relation soignant-soigné, il souligne cependant les changements important d’attitudes attendus de la part du personnel soignant. Comme il existe des managers coachs, nous aurons certainement dans le futur des médecins coachs, ou infirmier coach, pharmaciens coachs…etc. Les changements attendus concernent le passage d’une directivité à une non directivité, une écoute réelle du soigné, et la croyance que les ressources sont présentes chez le professionnel du soin comme chez le sujet soigné. La patience change de camps, car elle deviendra u atout majeur des professionnels de soin et de la santé.
Le développement d’internet et de la santé numérique
L’e-santé (ou santé numérique) fait référence à « l’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’ensemble des activités en rapport avec la santé ». (4) Sous ses différentes facettes (télésanté, santé mobile, télémédecine, systèmes d’information en santé…), la e-santé est aujourd’hui en plein essor et bouleverse de nombreuses pratiques de santé. Le développement des outils et des services de santé connectée est aussi une réponse aux nouveaux enjeux, et en particulier l’augmentation de la durée de vie des patients souffrant d’une affection chronique, le développement des prises en charge hospitalières ambulatoires, une approche globale de la maladie…etc
L’accès aux informations : les patients trouvent sur internet des moyens de s’informer et d’échanger. Les sites spécialisés (sources officielles, laboratoires pharmaceutiques, sources indépendantes non médicales) se consacrent au quotidien des personnes souffrant de pathologies chroniques, ou aussi à la naïveté de sujets fragilisés en attente de remèdes miracles venus de pays lointains. Cet espace médiatique ne parle plus seulement maladie, mais aussi bien-être, qualité de vie physique, mentale, émotionnelle et spirituelle.
La relation patient-médecin : cette relation se nourrit des échanges « On line » sur un mode plus collaboratif : « les patients étendent leur pouvoir : montée en compétences, capacité d’action élargie, participation aux décisions qui les concernent. » (4) Ce qui ne signifie pas que les patients se placent d’égal à égal vis-à-vis des médecins. « Même avec le développement de la e-santé, ils expriment toujours une forte attente de réassurance médicale…S’ils souhaitent être mieux impliqués dans leur prise en charge, les patients veulent toujours se reposer sur l’expertise du corps médical. » « La confiance des patients à l’égard des médecins est le terreau indispensable à la diffusion de la e-santé »
Cet immense espace de santé numérique qui s’ouvre aux professionnels de santé comme aux patients met en relief des points de vigilance, par exemple la protection des données médicales, les risques de déshumanisation de la relation patient-médecin et les difficultés d’un diagnostic précis avec la téléconsultation. Comment faire avec les patients connectés qui préfèrent évoquer leurs problèmes de qualité de vie dans l’anonymat du web plutôt que dans l’intimité du cabinet médical ? Comment donner une bonne interprétation des conseils donnés via les dispositifs de e-santé ? Comment répondre aux angoisses des profils hypochondriaques ? Comment gérer les inégalités d’accès aux soins entre patients connectés ou non connectés ? Quels seront les professionnels du soin, ou de la santé qui auront la responsabilité d’éduquer, faciliter le bon usage de la santé numérique ?
Jean Luc Monsempès, 29 juin 2019
Références
(1) Patrick M. Krueger, Ilham A. Dehry, Virginia W. Chang. The Economic Value of Education for Longer Lives and Reduced Disability. The Milbank Quarterly, 2019; 97 (1): 48 DOI: 10.1111/1468-0009.12372
(2) Era 3 for Medicine and Health Care ; Donald M. Berwick, MD, MPP1 ; JAMA. 2016;315(13):1329-1330. doi:10.1001/jama.2016.1509
(3) Informed Patient Choice: Patient-Centered Valuing of Surgical Risks & Benefits ; JN Weinstein, DO, MS, Chair, K Clay ;Health Aff (Millwood). 2007 May–Jun; 26(3): 726–730.doi: 10.1377/hlthaff.26.3.726https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2918374/
(4) E-santé : vers l’empowerment du patient ; Isabelle Le ; Ipsos,https://www.ipsos.com/fr-fr/e-sante-vers-lempowerment-du-patient