Santé intégrale et intégrative

Santé intégrale et intégrative

La médecine moderne est bien plus performante dans la guérison des maladies aigues que dans celles des pandémies actuelles de souffrances mentales et de mal-être. Pour y parvenir il convient d'aborder tous les aspects de la vie d'un individu, par une approche intégrale et intégrative de la santé.

La santé se rapporte à un « tout » unique, évolutif, dynamique, orienté vers une recherche de sens, qu’il convient sans cesse de préserver et de développer. Ce qui est intégral se rapporte à ce qui ne fait l'objet d'aucune restriction, d'aucune coupure, et à ce qui réalise pleinement une qualité ou une caractéristique particulière.Ce qui est intégratif concerne l'inclusion d'autres approches de santé, en complément de celles de la médecine moderne.

Pour Grégory Bateson (1904-1980), la compréhension du comportement d’une personne implique la prise en compte de toute l’organisation du réseau de communication qui relie cette personne à son environnement. Ce réseau de communication ne se limite pas à l’homme, mais à tout ce qui dans notre environnement peut traiter l’information, que ce soit d’autres humains, les arbres, les plantes et les animaux, et tout ce qui forme un écosystème. L'environnement est présent dans le cerveau qui pense à l’intérieur d’un humain. Comme le déclare Bateson, un réseau de communication relie le monde du dedans et le monde du dehors.  Les problèmes ne viennent que des séparations et catégorisations que nous pouvons faire avec notre mental « La monstrueuse pathologie atomiste que l’on rencontre aux niveau individuel, familial, national et international - la pathologie du mode de pensée erroné dans lequel nous vivons tous - ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature.» dit G. Bateson 

Une carte intégrale de la santé selon Ken Wilber

Comment dépasser les divisions et catégorisations mentales sources de souffrance humaines pour réunir sur une même carte les différents domaines de vie qui contribuent à ce « tout » ? Pour Ken Wiber philosophe moderne et l’auteur de la « théorie intégrale », toute connaissance humaine sur un sujet se déploie dans quatre catégories distinctes, qui sont complémentaires et non en compétition. À ces quatre catégories de la réalité correspondent des modes de connaissance et des critères différents de validité de la connaissance. La carte intégrale commence en reconnaissant simplement que l'expérience humaine s'exprime de quatre façons : le biologique, le psycho-spirituel,  le culturel et le social. Ces quatre aspects de notre expérience sont illustrés à la figure 1.

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                                                     Figure 1. Les quatre aspects de l'expérience humaine

Le côté droit de la carte contient les deux aspects de la vie que nous appelons extérieurs : le biologique et le social.  Sur le côté gauche se trouvent les deux aspects de la vie que nous appelons intérieurs : le psycho-spirituel et le culturel. Les deux quadrants supérieurs, le biologique et le psycho-spirituel, sont des domaines personnels de développement. Les deux quadrants inférieurs du culturel et du social, sont des domaines de vie que nous développons et partageons avec les autres. Cette approche holistique englobe donc nos expériences intérieures et extérieures et nos expériences individuelles et partagées. Chacun de ces domaines doit être pris en compte lorsqu’on veut aborder la souffrance et la maladie de manière globale, et que l’on cherche à atteindre une santé et une vie plus riche de sens.

Appliquons maintenant le modèle de la carte intégrale de Ken Wilber au thème de la santé, de la maladie et de la guérison. Cette carte nous donne accès à la notion de totalité si attachée à la notion de santé. Quand le corps subit des modifications objectivables, ce que nous appelons « l’événement », ces changements peuvent être observés et interprétés selon les différentes cartes du monde du modèle intégral de Ken Wilber.

La carte de l’objectif, « du physique et du biologique » 

Dans une perspective matérialiste, la médecine moderne focalise son attention presque exclusivement sur le biologique et le physique, à partir de critères observables et mesurables. Cette forme de médecine croit essentiellement aux causes physiques et biologiques des symptômes des maladies physiques, mentales et émotionnelles et par conséquent ses interventions seront chimiques et physiques (Chirurgie, Médicaments, Thérapie génique, Dispositifs médicaux, Modifications comportementales). Une personne est guérie lorsque des mesures physiques (respiration, cardiovasculaire, force musculaire, pois de croissance…etc.) ou biologiques (constantes sanguines, hormonales…etc.) rentrent dans des « normes» déterminées de façon consensuelle (voir la carte du culturel). Cette carte du monde est celle de la médecine scientifique moderne, dont les formidables exploits ont quelque peu mis dans l’ombre les autres aspects de la santé, de la maladie et de la guérison. 

La carte du subjectif, du « psycho-spirituel individuel » 

Des approches nouvelles comme la psycho-neuro-immunologie et de l’épigénétique ont clairement démontré le rôle essentiel des états internes de la personne et du stress comme causes et aussi comme ressources de guérison des maladies mentales et physiques. D’autres études ont montré l’impact positif des techniques de visualisation, d’affirmation, de gestion du stress, de méditation sur de nombreux paramètres de santé.  Cette carte se rapporte au vécu subjectif et relatif de l’événement médical (capacités, croyances et valeurs, identité et spiritualité). Ce vécu est interprété à partir de critères subjectifs (évaluation de la douleur, impact social et économique, handicap potentiel par rapport à des projets de vie.) La mesure est relative et intentionnelle car le niveau de santé est évalué en fonction des circonstances dans laquelle se trouve la personne, et aussi en fonction de ses projets de vie. L'âge, le sexe, le niveau de scolarité, le revenu et les caractéristiques psychosociales sont des facteurs qui impactent les différences de perception de l'état de santé. 

Cette carte très individuelle de la réalité est sans cesse influencée, d’une part par ce à quoi nous donnons du sens (projets de vie, rêves, valeurs) dans notre vie future, et d’autre part par des événements du passé qui peuvent s’opposer à leur réalisation. L'une des principales composantes de nos cartes individuelle de la réalité est celle des empreintes, c’est-à-dire des mémoires qui se forment dès le plus jeune âge et qui peuvent servir de racine aux croyances limitantes et/ou facilitantes que nous élaborons en tant qu'enfants. Certaines croyances limitantes résultent d'expériences douloureuses voire traumatiques qui ont été oubliées. Ces croyances vont déterminer, consciemment ou inconsciemment, la manière de percevoir notre état de santé et ses possibilités de changement. De part son fonctionnement systémique, le cerveau pourra tenter de corriger lui-même les souvenirs négatifs ou les croyances sous la forme d'une réponse immunologique. 

Les approches subjectives et individuelles de la santé existent depuis la nuit des temps. Elles ont particulièrement développées dans les sociétés qui sont restées éloignées de la technicité de la médecine moderne. Ces médecines dites « traditionnelles » visent à rétablir l’équilibre de vie de la personne, par l’intercession de nombreuses forces ou esprits propres à chaque culture. Dans les pays occidentaux, l’intérêt pour ces approches dites « psycho-spirituelles »  se retrouve maintenant dans ce qu’on appelle les médecines alternatives et complémentaires.

La carte culturelle des « inter-subjectivités » 

La conscience individuelle d’une personne malade est intimement liée aux valeurs, aux croyances et aux visions partagées par sa communauté d’appartenance. Nous parlons alors d’une anthropologie de la maladie. La façon dont la communauté considère une maladie particulière peut profondément impacter la manière dont l’individu affronte cette maladie, et influencer le cours de sa maladie physique. Cette carte inclut l’ensemble des facteurs intersubjectifs cruciaux qui influencent toute relation humaine. La relation avec les professionnels de santé, la définition du normal et du pathologique, la manière d’annoncer un diagnostic ou un pronostic, les croyances des soignants sur les possibilités de guérison d’une maladie… tous ces facteurs peuvent impacter le cours de la maladie. Par exemple, les statistiques médicales sont des cartes qui gomment les individualités et édictent des vérités diagnostiques et pronostiques pour tous et toutes ; Certaines maladies (dépression, ménopause, parasites intestinaux, crise de foie…etc.) ont une réalité très culturelle qui fait qu’elle existe dans une communauté et pas dans une autre ; La manière de labéliser les pathologies (tumeur, homosexualité, addiction..) donne un sens positif ou négatif à l’événement ; L’attitude de soutien de l’environnement proche (famille et amis) et distant (rôle de la prière et des intentions de guérison) jouent un rôle démontré dans l’évolution de l’état de santé ;  La culture médicale dominante vis à vis de certaines maladies (maladies dites incurables, mortelles, handicapantes, maladie professionnelles ou non…etc.), ou vis à-vis des approches dites alternatives ou complémentaires (shamanisme, naturopathie, magnétismes, homéopathie, bols tibétains… ) peuvent exclure certaines personnes de soins utiles ; Un comportement peut être considéré comme pathologique dans une société donnée (par exemple, la transe dans la culture occidentale) et normal dans une autre (par exemple, les transes rituelles en Afrique ou au Brésil). Une maladie (Coronavirus), peut être interprétée en tant que menace ou opportunité de remettre en cause la culture dominante (maladie du libéralisme, de la mondialisation ou de l’écologie). Les croyances religieuses sur les causes (faute et péché) et conséquence (punition et enfer) de certaines maladies vont également colorer tout événement médical. 

Selon les cultures, l’intérêt porté à un organe ou différentes parties du corps peut être différent. La culture occidentale porte une grande attention au cœur qui est la source de vie. Dans le Japon traditionnel, le siège de la vie est l'abdomen (hara) car ce dernier condense les significations que nous attachons en occident à la fois au cerveau et au cœur. 

Les valeurs et croyances collectives vont forger une sorte de dogme qui va profondément impacter les représentations de l’individu et ses possibilités de guérison. Les croyances des autres peuvent parfois s’insinuer en nous, comme un virus de la pensée, et se développer en nous de façon à ce qu’elles deviennent les nôtres.  Nous pouvons mourir par conformité à une vérité collective. S’il n’est pas aisé de se définir en dehors de normes culturelles, c’est parfois un élément clé du processus de guérison. Guérir implique bien souvent de se libérer du « bruit de fond » de la pensée des autres, et redéfinir de façon autonome la direction que nous souhaitons donner à notre vie.

La carte sociale et de « l’économie de la santé » 

Cette carte est celle des relations d’un individu avec son environnement externe (observable) susceptible de contribuer à sa santé et sa guérison. Ce sont les facteurs sociaux, économiques et matériels qui sont peu souvent considérés comme faisant partie de l’entité de la maladie, mais qui sont comme pour les autres quadrants, causatifs de la maladie et de l’efficacité des soins.  Ce quadrant inclut des facteurs tels que l’économie (la possibilité d’avoir un travail et un revenu, de se loger et de se nourrir) ;  les systèmes de soin (présence et organisation des infrastructures médicales, nombre de professionnels de santé, aménagement des locaux) ; l’accès aux soins (prise en charge, assurances maladie) ; les systèmes sociaux  (allocations chômage, familiales, de logement et médecine du travail…) ; l’environnement physique (lieu de vie et de travail, pollutions diverses) et humain (relations familiales, amicales, et l'engagement social de l’individu). Tous ces facteurs vont jouer un rôle causal des maladies mais aussi des solutions apportées à ces mêmes maladies.

L’interdépendance des quatre cartes de la santé

Ces quatre domaines de notre expérience sont liés et interdépendants. Ils s'influencent toujours les uns les autres. Une vie psycho-spirituelle peu développée entraîne à la fois une physiologie perturbée et des relations insatisfaisantes avec le monde extérieur. Des relations perturbées mènent à une vie mentale perturbée et à une physiologie perturbée, et ainsi de suite. La carte intégrale nous rappelle la présence de ces interactions et nous oblige à aborder les relations entre chaque aspect de notre expérience. 

La guérison intégrale est souvent décrite comme « holistique ». Un élément clé de la philosophie de Ken Wilber est le holon, une notion issue des travaux d’Arthur Koestler. Pour Wilber, toute entité, tout concept, partage une double nature : une totalité en lui-même et la partie d’un autre tout. Par exemple, une cellule est une totalité et également une partie d'un tissu, d’un organe et d’un organisme. Les holons individuels sont des membres d'un holon social et culturel. Toute chose, depuis les particules de matière en passant par l’énergie et jusqu’aux idées, peut être considérée sous cet angle. De ce point de vue, toute chose est un holon. Ainsi l’infiniment petit du fonctionnement subatomique de nos molécules est, par l’intermédiaire de holons enchâssés, en lien avec l’infiniment grand de notre vie collective et spirituelle. 

Voyons comment chacun de ces quadrants peuvent faire une différence sur le plan de la maladie et de la santé. Une pathologie cardiaque a une composante biologique avec par exemple un rétrécissement des artères coronaires, en lien avec une alimentation trop riche et un niveau de forme physique insuffisant. Le problème cardiaque comporte également une composante psycho-spirituelle, par exemple un mélange de stress excessif, d'anxiété et de dépression, et une composante interpersonnelle avec des relations dysfonctionnelles et un faible niveau d'engagement social. Enfin, le problème cardiaque a une composante sociale, avec le stress d’un travail dépourvu de sens, la sédentarité, un manque de soins préventifs. Une approche globale d’une pathologie cardiaque ou de toute autre pathologie, mérite la prise en compte de toutes ces cartes de la maladie.

Dans des pathologies aigues, les efforts actuels de guérison de la maladie et de rétablissement se limitent encore bien trop souvent aux interventions biomédicales (médicaments, chirurgie, thérapies diverses) situées dans le quadrant supérieur droit. La détresse mentale pourra également être réduite à des anomalies neurobiologiques, un désordre hormonal, et traitée avec des antidépresseurs ou des anxiolytiques. dans une approche intégrale, on considérera qu'une pathologie (surtout chronique) peut avoir une cause non biologique au déclenchement et au maintien du problème de santé. Dans ces situations, nous devons élargir notre conscience aux différents domaines de vie qui participent à notre santé et à notre bien-être. Cette vision globale n’est pas toujours aisée, car la science moderne a tendance à réduire la vie à son expression la plus extérieure et la plus petite, en ignorant ses autres aspects. Dans nos sociétés occidentales, nous ne sommes pas en mesure de guérir définitivement ou de prévenir les pandémies actuelles de souffrances mentales et de mal-être, et encore moins d'atteindre une santé et une vie radieuses. Pour y parvenir, il est nécessaire d'aborder tous les aspects de notre vie, c’est-à-dire chacun des quatre quadrants. Cela exige une approche holistique authentique, une approche intégrale.

Dr Jean Luc Monsempès- 2 juillet 2020

Sources et lectures complémentaires

(1) Cassell EJ. The nature of healing. The modern practice of medicine. New York, NY: Oxford University Press; 2013. [Google Scholar] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4982737/#b3-062e427
(2) Integral Health Resources ; https://www.integralhealthresources.com/integral-health-2/models-of-integral-health/
(3) The Integral Model: Answering the Call for Whole Systems Health Care ; Marilyn Mandala Schlitz, PhD ; Perm J. 2008 Spring; 12(2): 61–68. Published online Spring 2008. doi: 10.7812/tpp/07-078
(4) Integral Heath Elliott S. Dacher, MD, Basic Health publication 2006
(5) Integral Healing Lynne D. Feldman Integral Publishers 2014
(6) La révolution de la pensée intégrale ; Patrick Drouot, Editions Alphée 2010
(7) Ken Wilber ; Le livre de la vision intégrale InterEditions 2008