J'étais sans visage et il m'a touché : Milton Erickson guérisseur par Stephen Gilligan

J'étais sans visage et il m'a touché : Milton Erickson guérisseur par Stephen Gilligan

J'étais sans visage et il m'a touché : Milton Erickson guérisseur

Stephen Gilligan évoque sa rencontre avec Milton Erickson, la découverte de son génie de psychothérapeute et de guérisseur. « Ce que je voudrais faire dans les pages qui suivent, c'est esquisser quelques aspects du chemin du guérisseur d’Erickson et de la façon dont il l'a parcouru, dans l'espoir que d'autres puissent trouver le courage et la capacité de mettre à jour leur propre chemin de guérisseur. »

Extrait de Milton H. Erickson, M.D. : Un guérisseur américain (série Profils de guérison) ; avr. 2006 par Bradford Keeney PhD et Betty Alice Erickson MS

Et ce fut à cet âge… La poésie
vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d’où
elle surgit, de l’hiver ou du fleuve.
Je ne sais ni comment ni quand,
non, ce n’étaient pas des voix, ce n’étaient pas
des mots, ni le silence:
d’une rue elle me hélait,
des branches de la nuit,
soudain parmi les autres,
parmi des feux violents
ou dans le retour solitaire,
sans visage elle était là
et me touchait.

Pablo Neruda, "Poésie".

J'ai été réveillé par la présence guérisseuse de Milton Erickson en 1974.  

Jeune homme de 19 ans, j'étais un étudiant de premier cycle en psychologie, confus mais intensément curieux, à l'université de Santa Cruz. L'année précédente, j'avais abandonné l'université et sombré dans le gouffre de la dépression et des pensées suicidaires, ce qui avait m’a conduit à une sorte de processus de mort et de renaissance en moi. Lorsque je suis retourné à l'université, j'ai rencontré Gregory Bateson, un ancien collègue et ami d'Erickson, puis John Grinder et Richard Bandler.  Grâce à ces relations, j'ai eu la chance de rencontrer Milton Erickson. 

Cette rencontre a changé ma vie pour toujours et l'héritage d'Erickson a occupé une grande partie de mon parcours au cours des 30 dernières années (voir par exemple Gilligan, 1987 ; 2002).  Une chose est claire à propos d'Erickson : comme la plupart des gens, il avait de nombreuses identités différentes - psychiatre, père, chercheur, rédacteur en chef, mentor, blagueur, amoureux de la nature, etc.  Il avait une vive intelligence et était profondément ancré dans les réalités sociales ; c'était un communicateur exceptionnel et un thérapeute sans égal.  Il a enseigné à la faculté de médecine, fondé et édité une revue universitaire et travaillé sans relâche avec des patients psychiatriques pendant près de cinq décennies. Mais parallèlement à ces réalisations rationnelles et mondaines, Milton Erickson a été aussi un grand guérisseur. Compte tenu de ses efforts héroïques pour faire de l'hypnose une modalité thérapeutique reconnue, il est compréhensible que cet aspect d'Erickson ait été relativement ignoré. Cependant, cette négligence a conduit selon moi, à une compréhension incomplète de son travail et des chemins possibles qu'il met en lumière pour d'autres praticiens thérapeutes sérieux. Ce que je voudrais faire dans les pages qui suivent, c'est esquisser quelques aspects du chemin de guérisseur d’Erickson et sa manière de le parcourir, dans l'espoir que d'autres puissent trouver le courage et la capacité d’identifier leur propre voie de guérisseur.

Marcher dans deux mondes : le fondement du don du guérisseur

L'une des plus grandes compétences d'Erickson était sa capacité à opérer dans deux "réalités" simultanément : le monde intérieur et le monde extérieur.  Son "travail intérieur" (avec un éventail éblouissant d'expériences de transe naturalistes) a montré les possibilités infinies de la conscience ; son "travail extérieur" (avec toutes sortes de directives pour agir différemment dans le monde social) a montré de nombreuses voies créatives pour modifier l'identité d'une personne ; et sa capacité à porter ces deux mondes simultanément lui a donné un talent spécial en tant que guérisseur.

Selon moi, aucun de ses étudiants n'a réussi à égaler ou dépasser le remarquable équilibre "bi-noculaire" dont Erickson faisait preuve, cette belle capacité à opérer à l'intersection des deux mondes, et ce faisant à avoir une plus grande profondeur de vision. Je pense qu’une partie du problème vient du fait qu'Erickson a été principalement perçu au travers du traditionnel modèle occidental "mono-noculaire" de la réalité extérieure, le seul monde viable et "réel". Bateson a souligné les dangers de cette compréhension limitée, en particulier dans la compréhension du travail d'Erickson, lors d’une interview avec Brad Keeney (1977) :

KEENEY : Vous dites que les gens qui vont voir Erickson en ressortent avec une soif de pouvoir ?

BATESON : Oui !  Ils veulent tous le pouvoir.

KEENEY : Y a-t-il quelque chose dans le fait de le voir (Erickson) induisant cette soif de pouvoir ?

BATESON : Eh bien, c'est l'habileté qu'il a à manipuler l'autre personne qui, à la longue, ne le sépare pas en tant qu'ego dominant de l'autre personne.  Il travaille dans la trame du complexe global et ils en ressortent avec une astuce qui est distincte du complexe global, qui va donc à son encontre, et qui devient une sorte de pouvoir. Je pense que c'est quelque chose comme ça. (p. 49)

La capacité à travailler au sein de la "trame du complexe global" suggère une expérience de "parenté interne", un processus d'entrée consciente à l'intérieur d'un champ de conscience commun.  Dans leur remarquable ouvrage A general theory of love, Lewis, Amini et Lannon (2000) décrivent ce processus d'accrochage neuronal interpersonnel comme une "résonance limbique" :

"Pour les animaux capables de combler le fossé entre les esprits, la résonance limbique constitue la porte de la connexion communautaire. La résonance limbique apporte l'harmonie silencieuse que nous voyons partout mais que nous considérons comme allant de soi, entre une mère et son enfant, entre un garçon et son chien, entre des amoureux se tenant la main à la table d'un restaurant. Cette réverbération silencieuse entre les esprits fait tellement partie de nous que, comme les machinations silencieuses du rein ou du foie, elle fonctionne sans heurts et de manière continue sans que nous nous en apercevions." (p.64)

En utilisant intentionnellement et attentivement ce processus de "résonance limbique", je pense qu'Erickson était capable d'entrer dans la conscience intérieure d'une personne, de l'élargir et de la relocaliser dans un champ plus vaste et plein de ressources dont il faisait partie, puis de travailler dans ce champ de guérison à des fins thérapeutiques.

Initiation des autres au monde profond

Ce sentiment d'un champ de guérison communautaire était présent lors de ma première rencontre avec Erickson. J'ai eu l'étrange impression que c'était ce que j'avais attendu toute ma vie. Je suis certainement entré dans une sorte de transe, la première d'une longue série avec Erickson. Je ressentais en sa présence quelque chose de merveilleux, de vibrant et de vivant. Je me souviens très bien d'une image surgissant du plus profond de moi, l'image d'un "Freud américain", une sorte d'analyste conventionnel, coincé, dissocié, avec des raccords sur une veste en tweed, une pipe à la bouche et une massive constipation émotionnelle. C'était l'image de ce que je pensais devoir être quand je serais "grand", vous voyez, je savais depuis mon plus jeune âge que je serais thérapeute.  (Je plaisante parfois en disant qu'il suffit de regarder ma famille pour comprendre que quelqu'un dans ce bazar a besoin d'être thérapeute).  J'ai probablement supposé que pour être un bon professionnel ou, d'ailleurs un citoyen responsable, il fallait assumer cette conscience déconnectée, émotionnellement constipée et tête en l'air. Erickson, avec sa présence étincelante de chaman, associée à ses réalisations professionnelles et ses talents exceptionnels, a fait exploser cette image en mille morceaux, pour ne plus jamais être réassemblée. À la place, il m'a encouragé à être moi-même, à aller au fond de moi-même et à trouver le bonheur à ma façon, tout en aidant les autres.   Ce fut ma première guérison avec Milton Erickson.

D'autres apprentissages profonds ont rapidement suivi.  Milton Erickson a été la première personne rencontrée qui était clairement meilleure que moi en transe.  Je n'étais pas doué pour grand-chose d'autre, mais j'ai beaucoup appris sur la façon de vivre en transe tout en grandissant dans une famille catholique irlandaise violente et alcoolique (certains diraient que c'est redondant).   Rencontrer Erickson, c'était un peu comme la scène du film "Close encounters of the third kind", dans lequel le schéma musical simple offert au vaisseau spatial extra-terrestre est rencontré par un schéma incroyablement plus complexe et plus beau. Erickson pouvait danser des cercles autour de moi dans l'espace intérieur de la conscience, et j'avais l'impression d'avoir enfin rencontré mon professeur.  Plus important encore, il utilisait la transe d'une manière fondamentalement différente de ce que j'avais imaginé.  Plutôt que d'utiliser la transe pour se dissocier "loin" du monde vivant de la connexion humaine, ce qui était la seule façon dont je l'avais utilisée dans le champ du traumatisme de mon enfance, Erickson utilisait la transe pour "entrer" dans la connexion humaine. En d'autres termes, il l'utilisait comme un processus de guérison. 

En m'accordant à ses rythmes hypnotiques, je me suis retrouvé dans un espace intérieur incroyablement vaste, apparemment infini.  Je me sentais entouré d'une présence aimante, et touché par un esprit intérieur. Cet esprit m'offrait la liberté de tout explorer, d'être ouvert à tout et d'être curieux de toutes les possibilités. Plus tard, j'ai compris qu'il s'agissait de l'esprit de guérison, l'esprit qu'incarnait Erickson et qui a touché de nombreuses vies de manière profonde.

Cette connexion humaine a éveillé en moi quelque chose que je ne pense pas vouloir ou pouvoir jamais oublier, malgré mes efforts périodiques pour le faire.  Elle m'a montré que, quelle que soit l'ampleur des problèmes, il y a toujours un espace plus profond et plus large de possibilités et de guérison qui est disponible. Elle m'a montré que lorsque je me sens trop restreint, trop limité ou trop contrarié, j'oublie mon appartenance au monde infini de l'esprit. Et que lorsqu'une blessure ou un traumatisme a besoin d'être guéri ou qu'une identité appelle une transformation, il existe un monde intérieur doté d'une intelligence et d'une sagesse immense qui peut absorber, retenir, guider et permettre un tel voyage. En bref, ces expériences de transe avec Milton Erickson m'ont initié à la conscience d'une grande conscience bien au-delà de ce dont nous nous contentons habituellement.

Le chemin du guérisseur blessé

À bien des égards, la vie personnelle d'Erickson a suivi le profil classique du guérisseur blessé tel que décrit par de nombreux auteurs (Campbell, 1949, 1973 ; Moore & Gillette, 1993 ; Eliade, 1958 ; Turner, 1969), résumé par Campbell (1973) :

"Le schéma habituel est d'abord une rupture ou un départ de l'ordre social local et du contexte ; ensuite une longue et profonde retraite vers l'intérieur et vers l'arrière, dans le temps et vers l'intérieur, profondément dans la psyché ; pour une série de rencontres chaotique de rencontres, des expériences sombrement terrifiantes, et aussi (si la victime est chanceuse) des rencontres d'un type centrant, épanouissant, harmonisant, donnant un nouveau courage ; et puis finalement, dans les cas chanceux, un voyage de retour de renaissance à la vie (p. 208)".

Dans le cas d'Erickson, cette rupture avec l'ordre social normal a commencé très tôt. La vie lui a offert un système nerveux intéressant à vivre.  Il était atteint d'une forme inhabituelle de daltonisme (de sorte qu'il ne pouvait "apprécier" que le violet) et souffrait d’une forme de surdité qui le rendait incapable de reconnaître les rythmes et sonorités musicales, de sorte que ce que nous connaissons de la musique ne lui était pas accessible. En tant que dyslexique, il n'a pas réalisé avant son adolescence que les mots du dictionnaire étaient classés par ordre alphabétique ! (2) Toutes ces expériences précoces l'ont placé dans une position "à la limite du village", la place classique du chaman/guérisseur.

Ce schéma de séparation s'est intensifié avec une grave attaque de polio à l'âge de 17 ans. Une blessure grave chez un jeune homme, juste au moment de son initiation à l'âge adulte, est un signe classique du guérisseur dans les cultures traditionnelles (cf. Eliade, 1958 ; Moore et Gillette, 1994).    Le corps d'Erickson était paralysé (à l'exception de ses yeux) et les médecins lui ont dit qu'il ne marcherait plus jamais.  Cela l'a incité à entreprendre une intensive série d'"expériences d'apprentissage", qu'il appellera plus tard "transes auto-hypnotiques profondes", afin d'explorer les possibilités de guérison intérieure. De façon extraordinaire, il a trouvé, en se connectant à ses ressources intérieures et à un "inconscient créatif", un moyen de réhabiliter son corps (voir Erickson et Rossi, 1977).  Il a réussi à marcher à nouveau avec l'aide de cannes et a été physiquement très actif.  À 46 ans, il est terrassé par une grave maladie due à une injection de sérum anti tétanique, dont il a failli mourir.  Depuis lors et jusqu'à sa mort au début de 1980 à l'âge de 79 ans, il a été régulièrement cloué au lit et souffert de douleurs chroniques, peut-être dans le cadre d'un syndrome post-polio [3]. Tout au long de ces immenses défis, il a utilisé son lien avec le monde intérieur pour non seulement survivre mais aussi continuer à profiter de la vie.

Comme exemple de ses voyages dans des mondes intérieurs étranges, je me souviens qu'il m'a raconté comment, lorsqu'il était paralysé par la polio, il ne pouvait pas sentir son corps dans l'espace. Il savait qu'il avait un bras gauche, mais il ne pouvait pas savoir où il se trouvait dans l'espace.  Peut-être qu'il était là-bas, non, peut-être là-bas, oh, peut-être là-bas.  Il savait qu'il avait un pied gauche, mais ne pouvait pas se représenter où il se trouvait dans l'espace ou par rapport à sa main droite.  Quand Erickson décrivait cette sorte de syntaxe désordonnée des parties du corps, je pensais à l'épouvantail dans le "Magicien d'Oz", ses membres jetés dans tous les sens. 

Ce qui était étonnant dans cette expérience, et dans toutes les autres décrites ci-dessus, c'était sa relation avec elles. Il n'était pas un homme amer ou vaincu. Au contraire, ses yeux pétillaient lorsqu'il les décrivait comme des occasions d'apprendre. La vie lui jetait tant de choses étranges, et il répondait en allant "plus profond et plus large", en trouvant un lieu profond de conscience intérieure ("transe") où il pouvait permettre à une intelligence sage ("l'inconscient") de le rejoindre et de l'aider à accepter toutes ces réalités comme des opportunités d'apprentissage. 

Le retour du guérisseur dans la communauté

C'est cette acceptation durement acquise et cette curiosité à utiliser les expériences difficiles pour grandir et se développer en tant qu'être humain, en particulier avec les états de transe intérieure comme ressource, qu'Erickson a ramené dans le monde extérieur. Cette capacité à entrer habilement dans des états de souffrance et à les transformer a été la base de son succès en tant que guérisseur et psychiatre. Pendant les premières décennies de sa carrière de psychiatre, il a travaillé principalement avec des patients psychotiques hospitalisés. Il s'est vite rendu compte que ces patients ne pouvaient pas entrer dans sa réalité, et que s'il voulait établir une communication, il devait entrer dans leur réalité. L'ensemble de ses travaux (Erickson, 1980a, b, c, d) témoignent d’une époustouflante capacité à travailler intuitivement avec des patients gravement perturbés. Avec un patient qui ne pouvait parler qu’avec une salade de mots, Erickson a passé des mois à étudier des enregistrements de sa façon de parler, puis il a parlé avec la salade de mots pour établir le lien, en ajoutant progressivement d'autres types de communication au cours de la thérapie.  Avec un autre patient qui croyait être Jésus-Christ, Erickson l'a fait travailler comme charpentier sur un projet de construction d'un hôpital.  

Avec tous ses patients, Erickson faisait preuve d'une compassion et d'une remarquable compréhension des états de conscience non rationnels, et il était exceptionnellement habile à guider les gens à travers ces royaumes intérieurs pour obtenir des résultats thérapeutiques.  Il utilisait les outils traditionnels d'un guérisseur/shaman : transes profondes, histoires métaphoriques, désorientation temporelle/spatiale, confusion et surprise, communications non rationnelles, absorption interpersonnelle intense, et bien d'autres méthodes expérientielles-symboliques.  Il croyait en la valeur de la perturbation de l'ordre social de la conscience ordinaire comme voie d'accès à des royaumes plus profonds, puis de la recherche de moyens pour réintégrer ces apprentissages dans le monde consensuel. Il ne s'intéressait pas tant à la compréhension intellectuelle qu'à la transformation expérientielle de la conscience, afin que de nouvelles réalités et possibilités puissent émerger. Tout cela constitue des aspects essentiels du travail d'un guérisseur.

Mais s'il était capable de prouesses techniques éblouissantes et de présence hypnotique, au cœur de sa capacité de guérison on trouvait son amour et sa compassion pour ses patients. Cet aspect est souvent négligé dans tous les récits publiés sur Erickson, en partie parce qu'il est difficile à traduire en mots. Mais je crois que sa capacité exceptionnelle à pénétrer et à affirmer en douceur l'identité la plus profonde d'une personne est responsable d'une grande partie de son succès. Les patients et les étudiants lui faisaient confiance et s'ouvraient ainsi à son influence, en grande partie parce que son cœur était bon et généreux. Ce "cœur discernant de la compassion" fait partie intégrante de l'approche du guérisseur, et je pense qu'Erickson l'a incarné à fond.

La transmission à la lignée

Comme d'autres jeunes étudiants ayant étudié avec Erickson dans ses dernières années, je ne lui ai jamais versé d'argent. C'était une bonne chose car j'étais un étudiant très pauvre et ma famille n'avait pas d'argent !  Bien sûr, je m'attendais à devoir le payer, et je lui ai demandé combien cela coûterait d'étudier avec lui, persuadé que je pourrais obtenir un prêt étudiant.  Il m'a regardé intensément avec des yeux pétillants et m'a dit : "Oh, c'est bon.  Vous n'avez pas à me payer quoi que ce soit.  La façon dont tu peux me rendre la pareille, c'est de transmettre à d'autres tout ce que tu trouves utile pour toi ici.  C'est comme ça que vous me remercierez !"  Je plaisante parfois en disant que j'aurais aimé payer le vieil homme pour rembourser ma dette une fois pour toutes, mais ce n'est qu'une blague. J'ai le sentiment qu'Erickson incarnait une certaine lignée de guérisseurs dont le monde actuel a tant besoin, et je suis reconnaissant d'avoir "reçu la transmission" à ma petite échelle pour essayer de la transmettre à mon tour.

C'est mon intention en écrivant cet article.  On s'accorde généralement à dire que Milton Erickson était l'un des grands psychothérapeutes du siècle dernier.  Il était peu orthodoxe mais très efficace et éthique. En cherchant à comprendre la nature de son travail, nous devons apprécier les nombreuses facettes de ce joyau : une rigueur scientifique, une détermination et un engagement sans faille, un plaisir infini pour les complexités du comportement humain, un engagement exceptionnel envers les normes professionnelles, un mentorat remarquable des étudiants et une connexion profonde avec la voie archétypale du guérisseur. Je me suis concentré sur cette facette de "guérisseur", en suggérant qu'elle était profondément présente chez Erickson mais pas suffisamment mise en valeur par ses étudiants.  J'ai noté quelques aspects cruciaux du chemin du guérisseur, notamment en ce qui concerne le "voyage du héros", à savoir (a) la connexion à l'ordre régulier de la conscience, (b) la "rupture" et la descente dans un "inconscient" plus profond où de nombreux seuils et défis sont franchis, et (c) le retour dans la communauté avec une sens élargi du soi.  J'ai suggéré qu'en traversant ce voyage du héros, Erickson a fait preuve des compétences d'un guérisseur pour aider de nombreuses autres personnes dans leur propre "voyage du héros".

Faire vivre un archétype dont la présence est nécessaire en ces temps difficiles

Le but de tout ceci n'est pas de déifier Erickson, mais d'encourager les autres à trouver leur propre "voyage du héros". Mon intention est de faire vivre un archétype dont la présence est nécessaire en ces temps difficiles.  Ceux qui ressentent une "vocation" à aider les autres peuvent être encouragés par l'exemple d'Erickson à aller au fond de leur chemin et à aider les autres à faire de même. Nous pouvons nous rendre compte par l'expérience que la "réalité" est beaucoup plus riche et vivante que nous ne le pensons souvent ; qu'il existe un espace intérieur vaste et profond (l'"inconscient") qui peut être exploré en toute sécurité à des fins thérapeutiques ; et qu'il existe une grande intelligence en nous et autour de nous, bien au-delà de l'intellect désincarné auquel nous nous identifions trop souvent.  Nous pouvons réaliser que les difficultés ne sont pas à craindre, que les blessures sont des ouvertures vers une conscience plus profonde, que les symptômes et autres expressions non rationnelles peuvent être considérés comme des tentatives de guérison naturelles, et que les revers et les défis de la vie sont de grandes opportunités d'apprentissage et de guérison.  

Pour relever ces défis, nous sommes guidés par le principe d'"utilisation" d'Erickson, qui encourage l'acceptation profonde des expériences difficiles, leur absorption sûre et efficace dans un domaine plus profond de la conscience de guérison, puis leur engagement avec une conscience imprégnée d'une présence féroce/tendre/joueuse, curieuse de savoir comment elles peuvent être transformées. Du point de vue du guérisseur, nous pouvons voir que ce principe d'"utilisation" n'est pas seulement un concept intellectuel à appliquer platement, mais un processus relationnel qui exige la présence de tout notre cœur, de tout notre esprit et de toute notre âme. Il s'agit en effet d'un chemin dur et difficile qui exige un grand engagement et un apprentissage permanent, mais aussi d'un chemin gratifiant qui nous permet de vraiment profiter de la vie, de la sentir comme sacrée et précieuse, et d'apprécier les possibilités de guérison et de transformation toujours présentes.

En observant le guérisseur en Erickson, nous pouvons commencer à le revendiquer en nous-mêmes.   Ce faisant, nous comprenons plus profondément les sages paroles du grand poète soufi Rumi :

L'être intérieur d'un être humain
est une jungle. Parfois, ce sont les loups qui dominent,
parfois des porcs sauvages. Méfie-toi quand tu respires !
A un moment, des qualités douces et généreuses,
comme celles de Joseph, passent d'une nature à l'autre.
L'instant suivant, des qualités vicieuses se déplacent de manière cachée.
A chaque instant, une nouvelle espèce apparaît dans la poitrine...
tantôt un démon, tantôt un ange, tantôt un animal sauvage.
Il y a aussi ceux dans cette étonnante jungle
qui peuvent vous absorber dans leur propre abandon.
Si vous devez traquer et voler quelque chose,
volez-les.

Stephen Gilligan 18 mai 2017

Sources 

I Was Without A Face And It Touched Me: Milton Erickson As A Healer; May 18, 2017; In Milton H. Erickson, M.D.: An American Healer (Profiles in Healing series); Apr 1, 2006

Références

Campbell, J. (1949).  Le héros aux mille visages. New York : Pantheon Books.
Campbell, J. (1973) Myths to live by. New York : Bantam.
Eliade, M. (1958).  Rites et symboles de l'initiation : Les mystères de la naissance et de la renaissance.  New York : Harper & Row.
Erickson, M.H. (1980a).   La nature de l'hypnose et de la suggestion : The collected papers of M. H. Erickson, Volume 1. (Édité par E. L. Rossi).  New York : Irvington
Erickson, M.H. (1980b).  Altération hypnotique des processus sensoriels, perceptuels et psychosociaux : The collected papers of M. H. Erickson, Volume 2.  (Édité par E. L. Rossi) New York : Irvington.
Erickson, M.H. (1980c).  Investigation hypnotique des processus psychodynamiques : The collected papers of M. H. Erickson, Volume 3.  (Publié par E. L. Rossi).  New York : Irvington.
Erickson, M. H. (1980d).  Innovative hypnotherapy : The collected papers of M. H. Erickson, Volume 4. (Publié par E. L. Rossi).  New York : Irvington.
Erickson, M. H., & Rossi, E. L. (1977).  Expériences autohypnotiques de Milton H. Erickson.  American Journal of Clinical Hypnosis, 20, 36-54.  (Réimprimé dans Erickson, 1980a.)
Gilligan, S.G. (1987).  Therapeutic trances : Le principe de coopération dans l'hypnothérapie Ericksonienne.   New York : Brunner/Mazel.
Gilligan. S. G. (2002).  The legacy of Milton H. Erickson : Selected papers of Stephen Gilligan.  Phoenix, AZ : Zeig Tucker Thiesen.
Keeney, B. (1977).  On paradigmatic change : Conversations avec Gregory Bateson.  Manuscrit non publié.
Lewis, T., Amini, F., et Landon, R. (2000). Une théorie générale de l'amour.  New York : Random House.
Moore, R., et Gillette, D. (1993).  The magician within : Accéder au chaman dans la psyché masculine.  New York : William Morrow.
Rossi, E. L., Ryan, M. O., & Sharp, F. A. (Eds.) (1983).  La guérison par l'hypnose : The seminars, workshops, and lectures of M. H. Erickson.  New York : Irvington.
Turner, V. (1969).  Le processus rituel : Structure and anti-structure.  Chicago : Aldine.
Zeig, J. K. (1985). Experiencing Erickson : Une introduction à l'homme et à son œuvre.   New York : Brunner Mazel.

Notes de bas de page

1] En utilisant le terme "guérisseur", je tiens à préciser que je n'invoque pas de forces surnaturelles ni n'attribue de pouvoirs magiques à Erickson.   Il s'est efforcé toute sa vie de mettre l'accent sur son travail en termes de processus fondamentaux (bien que généralement inconscients), auxquels on accède par certains états d'attention et d'intention. D'autre part, en utilisant le terme "guérisseur", j'espère délibérément étendre la compréhension d'Erickson au-delà des notions purement mécanistes ou matérialistes. 
2] Pour une description plus complète des défis personnels d'Erickson et de ses façons créatives de les relever, voir Erickson et Rossi (1980e), Rossi, Ryan, & Sharp (1983), et Zeig (1985).
3] Une description plus complète de la longue lutte d'Erickson contre les maladies physiques est donnée par sa femme, Elizabeth Erickson, dans Zeig, 1985.