Un nouveau regard sur la colère

Un nouveau regard sur la colère

La colère reste une émotion incomprise, souvent stigmatisée et socialement mal considérée. La colère dite « problématique » est un symptôme courant mais négligé, du syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

Il existe de plus des disparités dans la manière dont les hommes et les femmes ressentent et expriment la colère problématique, en particulier après un traumatisme. Comprendre les distinctions entre une colère saine et une colère problématique pourrait ouvrir la voie à de meilleures interventions en matière de santé mentale et à de meilleures attitudes sociétales à l'égard de cette émotion complexe. Ce qu’il faut retenir de l’article Anger, The Forgotten Emotion Unveiled: How Trauma Influences Problem Anger:

  • La colère problématique est un symptôme courant mais mal compris lorsqu’il fait suite à un traumatisme, qui peut affecter jusqu'à 31 % de la population, comme c’est le cas des anciens combattants et les premiers intervenants d’une catastrophe.
  • Une colère saine motive l'action et ne doit pas être assimilée à l'agression ou à la violence, qui sont des choix plutôt que des réflexes émotionnels.
  • Les normes sociales liées au genre entraînent des expressions différentes de la colère problématique chez les hommes et les femmes, ce qui fait qu'il est plus difficile pour les femmes d'exprimer ouvertement leur colère.

Cela fait maintenant vingt ans que la colère a été qualifiée pour la première fois d'émotion oubliée, et aujourd'hui, peu de choses ont changé. Si nous savons beaucoup de choses sur la tristesse et la peur, la colère occupe toujours une place inconfortable dans la société. La plupart d'entre nous ne savent pas à quoi sert la colère, ni quelle est la différence entre une colère saine et une colère problématique.

Pourtant, tout comme la tristesse et la peur, la colère est une émotion humaine normale. La colère normale est saine et utile. Nous l'éprouvons lorsque nous nous sentons attaqués, lorsque nous sommes lésés ou traités injustement, ou lorsque nous constatons une injustice dans le monde.

Malheureusement, nous considérons souvent la colère saine comme un problème et, lorsque nous ne pouvons pas la tolérer, nous pouvons même punir ou critiquer nos proches lorsqu'ils se sentent en colère.

Tout comme la tristesse peut devenir une dépression et la peur un trouble anxieux, la colère peut devenir malsaine. La colère peut devenir un problème lorsque la personne l'éprouve souvent, intensément, pendant de longues périodes, et qu'elle interfère avec ses relations et sa capacité à fonctionner normalement. Les chercheurs qualifient ce type de colère malsaine de "colère problématique", en raison des problèmes qu'elle peut créer pour les personnes dans leur travail et leurs relations.

Les recherches menées au Laboratoire de la colère ont permis de combler les lacunes en matière de connaissances sur la colère, en se concentrant sur la colère problématique chez les personnes ayant subi un traumatisme. Nos travaux montrent que les « colères problématiques » sont particulièrement fréquentes après un traumatisme. Mais il faut parfois des années, voire des décennies, pour que les gens réalisent que leur colère est liée à leur traumatisme, ce qui s'explique en partie par le fait que la colère occupe encore une place inconfortable dans notre société. Nous devons parler davantage de la colère, parallèlement à notre meilleure compréhension des traumatismes.

Qu'est-ce que la colère ?

La colère peut être ressentie de façon émotionnelle (d'une légère contrariété à une rage aveugle), cognitive (pensées sur la personne qui nous a fait du tort), physiologique (augmentation de l'activité cardiovasculaire et de la tension musculaire) et comportementale (cris et portes claquées). La colère peut être désagréable à vivre, mais elle remplit une fonction essentielle. Contrairement à la tristesse et à la peur, qui nous incitent à nous replier sur nous-mêmes, à nous fermer ou à battre en retraite, la colère nous pousse à agir pour nous défendre, protéger les autres et surmonter les obstacles.

Nous avons tous fait l'expérience d'une colère explosive, et après laquelle nous avons probablement éprouvé des sentiments de honte ou de regret en repensant à ces moments et à la manière dont nous nous sommes comportés. L'agression et la violence peuvent survenir dans un moment de colère exacerbée, mais ne sont jamais excusées par la colère. Les personnes qui ont recours à l'agression et à la violence contre une autre personne ne peuvent jamais dire que c'est la colère qui les a poussés à agir, l'agression ou la violence étant toujours un choix.

Il existe également des cas d'agression dite « instrumentale », dans lesquels la colère n'est pas présente, mais où la personne utilise la menace ou l'agression réelle et la violence comme instrument de contrôle et de pouvoir, ce type d'agression est très répandu dans les cas de violence entre partenaires intimes.

Colère et syndrome de stress post-traumatique

Nos recherches montrent que dans certaines populations affectées par des traumatismes, comme les anciens combattants et les premiers intervenants, ou les survivants de catastrophes naturelles, les problèmes de colère peuvent toucher jusqu'à 31 % des personnes. Pourtant, il faut parfois des années pour faire le lien entre les colères problèmes et le fait d'avoir subi un traumatisme.

Nous savons aujourd'hui que la colère est souvent un symptôme central du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et qu'elle constitue également une réaction courante au traumatisme, les taux de colères problèmes étant parfois plus élevés que ceux de troubles bien connus tels que la dépression et le SSPT.

La culture populaire donne de nombreux exemples d'hommes ayant subi un traumatisme et ayant des problèmes de colère, mais il s'agit souvent d'exemples extrêmes. C'est le cas de Logan Roy, le principal antagoniste de la très populaire série Succession, qui a subi un traumatisme important pendant son enfance et qui présente de nombreux symptômes de colère problématique. La colère de Roy est déclenchée lorsqu'il a l'impression qu'on profite de lui. Sa réaction excessive peut provenir des abus subis dans son enfance et du fait qu'il s'est senti vulnérable, ce qui déclenche sa colère à une intensité, une fréquence et une durée qui lui nuisent ainsi qu'à ses relations interpersonnelles. Il présente également des niveaux élevés d'hostilité, c'est-à-dire une prédisposition à ne pas aimer les autres ou à s'en méfier et à interpréter leur comportement comme égoïste et blessant. Les recherches montrent qu'un "biais d'hostilité", ou la tendance à interpréter des informations ambiguës comme hostiles, est très fréquent dans les colères problématiques, en particulier après un traumatisme.

Par exemple, lorsque quelqu'un nous coupe la route dans la circulation ou nous heurte au supermarché avec son chariot, le biais d'hostilité consisterait à interpréter ces événements comme intentionnels plutôt qu'accidentels. Il convient de souligner à nouveau que les manifestations d'agressivité et de violence de Roy ne sont pas excusées par son traumatisme ou sa santé mentale. En outre, il ne manifeste que rarement, voire jamais, de détresse ou de culpabilité, alors que nous savons que de nombreuses personnes qui ont subi un traumatisme et qui ont des difficultés à gérer leur colère trouvent cela très perturbant et désagréable, et veulent désespérément s'en remettre.

Les femmes et la colère

Il est beaucoup plus difficile de trouver dans la culture populaire des personnages montrant des femmes ayant subi un traumatisme et ayant des problèmes de colère. Les filles sont socialisées différemment des garçons lorsqu'il s'agit d'exprimer leur colère, ce qui les pousse à la réprimer plutôt qu'à l'exprimer.

Nos recherches montrent que dans certaines populations, y compris les survivants de catastrophes naturelles, les femmes ont des niveaux plus élevés de problèmes de colère que les hommes, ce qui peut s'expliquer en partie par le fait que les femmes sont désavantagées après une catastrophe naturelle, qu'elles risquent davantage d'être victimes de violences domestiques et de subir des préjudices économiques plus importants. Le film récent " Women Talking " dépeint très bien une femme qui canalise sa juste fureur pour motiver son action après avoir subi un traumatisme important, rappelant ainsi que toute colère chez les personnes ayant subi un traumatisme n'est pas forcément problématique.

Chaque fois qu'une personne canalise sa colère pour protester, organiser ou agir de manière à changer les choses, elle exploite le pouvoir de la colère humaine. Il est très important d'intégrer l'expérience de la colère dans notre façon de comprendre, de parler et de gérer d'autres émotions telles que la peur, la tristesse, la culpabilité et la honte.

Il est essentiel de comprendre le lien entre les traumatismes et la colère, et d'apprendre les différences entre une colère saine et une colère malsaine, pour permettre aux survivants de traumatismes de mieux comprendre leurs expériences et leurs émotions.

Commentaires pour les cochas de santé

Le diagnostic et traitement de la colère pathologique ne sont pas du ressort du coach de santé. Ce qui m’a semblé intéressant dans cet article est d’une part la distinction entre colère saine et colère pathologique, et d’autre part la relation entre un symptôme mental dans le présent et son origine dans un événement du passé. Un élément de plus montrant que "nos maladies ne tombent peut être pas du ciel » comme le dit si bien Cyril Tarquinio. Pour rétablir ces connexions, il convient d'aborder le symptôme avec une pensée systémique, d'établir une relation de confiance, puis de savoir retrouver assez apidement l'événement causal, et enfin de modifier les schémas limitants issus de cet événement. 

Sources

Anger, The Forgotten Emotion Unveiled: How Trauma Influences Problem Anger, Neuroscience News Psychology·August 26, 2023 ;