Réticences à la vaccination au Covid-19 et traumatismes de l’enfance

Réticences à la vaccination au Covid-19 et traumatismes de l’enfance

Une nouvelle étude montre que l'hésitation à se faire vacciner est trois fois plus élevée chez les sujets ayant subi quatre ou plus traumatismes dans leur enfance par rapport à ceux qui n'en ont pas subi.

La réticence ou le refus de se faire vacciner contre l'infection au COVID-19 peut être liée à des événements traumatisants de l'enfance, tels que les négligences, les violences domestiques ou l'abus de substances dans le foyer familial, selon une étude publiée dans la revue BMJ Open.

Des études de plus en plus nombreuses montrent que l'adversité dans l'enfance est fortement liée à une mauvaise santé mentale et physique. Et certaines études ont suggéré que les mauvais traitements subis dans l'enfance peuvent miner la confiance ultérieure, notamment vis-à-vis des services de santé et autres services publics. Pour répondre à cette question, les chercheurs ont voulu savoir si les traumatismes subis pendant l'enfance pouvaient être liés aux niveaux actuels de confiance dans les informations des systèmes de santé, au soutien et au respect des restrictions liées au COVID-19 et à l'intention de se faire vacciner contre l'infection.

Les chercheurs se sont appuyés sur les réponses à une enquête téléphonique auprès d'adultes vivant au Pays de Galles, un groupe représentatif du niveau national, entre décembre 2020 et mars 2021, période durant laquelle des restrictions visant à freiner la propagation de l'infection par le COVID-19 étaient en vigueur. Sur un total initial de 6763 personnes contactées, les réponses de 2285 personnes qui répondaient à tous les critères d'éligibilité et qui avaient répondu à toutes les questions ont été incluses dans l'analyse finale. 

L'enquête portait sur neuf types de traumatismes subis dans l'enfance avant l'âge de 18 ans : abus physiques, verbaux et sexuels ; séparation des parents ; exposition à la violence domestique ; et vie avec un membre du foyer souffrant de maladie mentale, d'alcoolisme et/ou de toxicomanie, ou ayant été en prison. L'enquête a également permis de recueillir des informations personnelles et des expériences en matière d'affections de longue durée, le degré de confiance dans les informations fournies par les services de santé sur le COVID-19, ainsi que les attitudes à l'égard des restrictions du COVID-19 et de la vaccination.

Environ la moitié (52%) des personnes interrogées ont déclaré ne pas avoir subi de traumatisme pendant leur enfance. Mais environ 1 sur 5 (20 %) a déclaré en avoir subi un, environ 1 sur 6 (17%) en a subi 2 ou 3, et 1 sur 10 (10%) en a subi 4 ou plus.

Les personnes interrogées ayant exprimé peu ou pas de confiance dans les informations du NHS sur le COVID-19 et qui ont estimé que les restrictions gouvernementales étaient très injustes, étaient plus susceptibles d'être favorables à la fin immédiate des règles sur la distanciation sociale et le port obligatoire d'un masque. Ils étaient également plus enclins à dire qu'ils avaient parfois enfreint la réglementation et à exprimer leur réticence ou leur refus de se faire vacciner.

Par exemple, 40 % des sujets ayant déclaré avoir peu confiance dans les informations du NHS COVID-19 ont également déclaré hésiter à se faire vacciner, contre seulement 6 % de celles qui font confiance à cette source d'information. Et une proportion similaire de sujets n’ayant pas vraiment confiance dans les informations du NHS COVID-19, admettaient faire fi des réglementations de temps en temps, contre environ 1 sur 4 (25%) de ceux qui faisaient confiance à cette source d'information.

L'augmentation du nombre de traumatismes subis pendant l'enfance était indépendamment associée à un faible niveau de confiance dans les informations du NHS COVID-19, au sentiment que les restrictions gouvernementales étaient injustes et au souhait que le port obligatoire du voile soit abandonné.

Le soutien à l'abandon du port obligatoire du masque était quatre fois plus élevé chez les personnes ayant subi au moins quatre types de traumatismes infantiles que chez celles ayant déclaré n'en avoir subi aucun. Un âge plus jeune, le sexe masculin et l'absence d'antécédents d'affections de longue durée étaient également associés de manière significative à cette position.

L'expérience de quatre types de traumatismes infantiles ou plus était également associée au désir de mettre fin à la distanciation sociale. 

La probabilité d'admettre qu'on fait fi des restrictions COVID-19 de temps en temps augmente en même temps que le nombre de traumatismes subis pendant l'enfance. Elle était environ deux fois plus élevée chez ceux qui avaient subi 4 types de traumatismes ou plus que chez ceux qui n'en avaient subi aucun - 38 % contre 21 % - après prise en compte des associations avec les facteurs sociodémographiques et l'infection antérieure par le COVID-19 ou les antécédents d'affections de longue durée.

L'hésitation à se faire vacciner était également 3 fois plus élevée chez les personnes ayant subi 4 traumatismes ou plus dans leur enfance et plus élevée dans les groupes d'âge plus jeunes.

Sur la base de tous leurs résultats, les chercheurs ont estimé les taux probables d'hésitation à se faire vacciner en fonction des traumatismes subis pendant l'enfance et de l'âge : ces taux allaient d'environ 3,5 % chez les personnes âgées de 70 ans et plus n'ayant pas connu d'adversité pendant l'enfance, à 38 % chez les 18-29 ans ayant subi 4 types de traumatismes ou plus pendant l'enfance.

Il s'agit d'une étude d'observation, qui ne peut donc pas établir de causalité directe. Les chercheurs reconnaissent que leurs conclusions sont sujettes à plusieurs réserves.
Bien que conforme aux enquêtes téléphoniques, le taux de réponse n'était que de 36 % environ et les résultats reposaient sur des souvenirs personnels. Les femmes étaient également surreprésentées, tandis que le nombre de personnes issues de minorités ethniques était sous-représenté. Les chercheurs soulignent toutefois que les personnes ayant subi un traumatisme pendant l'enfance sont "connues pour présenter des risques de santé plus élevés tout au long de leur vie. Les résultats obtenus ici suggèrent que ces personnes peuvent avoir plus de difficultés à se conformer aux mesures de contrôle de la santé publique et qu'elles ont donc besoin d'un soutien supplémentaire".

Selon les auteurs, cela est important non seulement pour la pandémie actuelle, mais aussi pour d'autres urgences de santé publique à venir. "Il est urgent de mieux comprendre comment accroître leur confiance dans les systèmes de santé et leur respect des consignes sanitaires. Si l'on ne réfléchit pas à la meilleure façon d'impliquer ces personnes, certaines risquent d'être effectivement exclues des interventions de santé publique, de rester exposées à des risques d'infection plus élevés et de poser un risque potentiel de transmission à d'autres personnes."

Commentaires pour les coachs de santé

Voici une étude intéressante car elle pose des questions qui vont bien au-delà des problèmes immunitaires ou de vaccinations, et qui concernent l’individu dans sa globalité.

Cette étude (1,2) s’inscrit dans le cadre des nombreux travaux qui depuis les années 90 montrent le lien entre des souffrances de l’enfance (ACE ou Adverse Childhood Experiences en anglais) et divers facteurs de risque de maladie tout au long de la vie. Ces ACE sont constituées de violences physiques, psychologiques, sexuelles, de violences envers la mère, le fait de vivre avec des personnes qui consomment des substances psychoactives, qui ont des troubles psychiques, ou ont fait de la prison.

Une revue systématique des études sur le sujet parue dans le Lancet (3) a mis en lumière la force du lien entre les ACEs et la surreprésentation de certaines pathologies ou comportements chez l'adulte. Les comportements tabagiques et alcooliques sont fortement liés à la présence d'ACEs. Les cancers, les maladies cardiovasculaires et respiratoires semblent surreprésentées chez les victimes devenues adultes. On note un effet cumulatif car avec quatre ACEs et plus, le risque de souffrir d'infections sexuellement transmissibles (IST), de cancers, de maladies du foie ou de l'appareil digestif est plus élevé. Ces données montrent que les maladies chroniques peuvent constituer l'expression «incarnée» de la souffrance de l'enfant, et soulignent l'importance du dépistage de ces événements de l'enfance. 

Ces études montrent l’existence d’une forte corrélation entre les événements de l’enfance et la survenue de maladies chronique à l’âge adulte. Mais attention une corrélation n’est pas une causalité. Une personne peut avoir une maladie chronique, sans liens avec des événements difficiles de l’enfance, et tous les événements difficiles de l’enfance ne se traduisent pas par des maladies chroniques. Ce qui signifie que plusieurs facteurs peuvent moduler le lien entre la survenue de l’événement difficile de l’enfance et l’apparition de maladies chronique. 

Le premier facteur se réfère à la psychologie de l'attachement qui étudie la façon dont l'enfant déstabilisé, stressé demande et obtient du réconfort de la part d'un adulte, sa figure d'attachement. Le niveau perçu d’attachement précoce va impacter les représentations de l'image de soi, d'autrui et le niveau de confiance dans les relations. Le même événement difficile de l’enfant ne sera donc pas vécu de la même manière selon le niveau d’attachement et n’aura pas les mêmes conséquences dans la vie de l’adulte.  Les événements difficiles de l’enfance et un faible niveau d’attachement peuvent peut être source de méfiances vis à vis de figures ou symboles d’autorité. Cette méfiance peut faire obstacle à la relation thérapeutique nécessaire au processus de guérison. Le second facteur se réfère à la résilience, c’est-à-dire la capacité à rebondir face aux événements difficile et en tirer profit de ces épreuves pour grandir. Une personne avec une bonne capacité de résilience n’est donc pas prisonnière des événements du passé

A la lumière de ces informations, un lien très fort entre le nombre des ACE et la réticence à la vaccination, les résultats de l’étude de Mark A Bellis ne paraissent pas surprenants. Mais attention aux raccourcis simplistes. Ne pas porter le masque ne signifie pas que j’ai eu des traumatismes dans mon enfance, mais tout simplement que j’ai du mal à respirer, et il n’y a rien à psychopathologiser dans ce cas-là. Ce qui peut être surprenant est la manière dont ces résultats de la recherche peuvent être interprétés, en termes de causes, de conséquences ou de limitations. Et nous sommes là au cœur des croyances. Certains pourront suggérer de façon créative que la recherche est au service des institutions qui veulent restreindre la liberté des populations. D’autres pourront recadrer les résultats en disant que les traumatismes de l’enfance sont source de lucidité chez les adultes réticents à la vaccination…Une croyance limitante est comme une prison cognitive et émotionnelle. Je sais que c’est vrai dans ma tête car je n’ai pas la possibilité d’envisager d’autres options, et je sais que c’est vrai dans mon corps car les émotions inconfortables justifient mes décisions. Il y a donc une distinction importante à faire dans le niveau d’authenticité de la réticence à la vaccination. Si on met de côté ceux qui instrumentalisent en conscience les données de la recherche à des fins politiques ou autres, il reste tous ceux qui vivent une réelle souffrance émotionnelle à l’idée de la vaccination et qui peuvent avoir une réaction viscérale vis à vis des institutions vaccinales. Nier cette souffrance est aussi stupide, inefficace, irrespectueux que de nier la douleur physique d’une personne. On ne lutte pas contre une souffrance en la rejetant ou en la blâmant, mais en l’accueillant, en la comprenant et en la transformant. C’est le principe même de la résilience.

Certains sauront comprendre que leur souffrance émotionnelle vis à vis de la vaccination peut être une invitation à revisiter les événements douloureux de leur histoire personnelle, pour s’émanciper de leur croyance limitante, en tirer un gain d’énergie, de liberté, de bien-être et de santé. On ne fait certainement pas ce travail personnel ou thérapeutique pour s’affranchir des injonctions à la vaccination (référence externe), mais pour gagner en autonomie (en référence interne), pour être plus à même de décider en conscience et avec discernement ce qui est utile ou pas pour sa santé. Même la vaccination nécessite notre consentement pour qu’elle puisse donner une efficacité optimale. Ce travail d’introspection ne se fait pas seul, il est indispensable d’être accompagné, car seule une relation de profonde confiance est en mesure le lever les défiances inscrites depuis si longtemps dans notre histoire personnelle. Dans mes rêves, la campagne de vaccination actuelle aurait pu comporter autant de vaccinateurs que de psychologues en mesure d’apporter ce soutien relationnel. 

Sources

(1) COVID-19 Vaccine Hesitancy Linked to Childhood Trauma; Neuroscience News Psychologie-1 février 2022 https://neurosciencenews.com/covid-19-vaccine-hesitancy-childhood-trauma-20001/
(2) Associations between adverse childhood experiences, attitudes towards COVID-19 restrictions and vaccine hesitancy: a cross-sectional study” by Mark A Bellis et al. BMJ Open
(3) The effect of multiple adverse childhood experiences on health: a systematic review and meta-analysis Karen Hughes, Mark A Bellis, Katherine A Hardcastle, Dinesh Sethi, Alexander Butchart, Christopher Mikton, Lisa Jones, Michael P Dunne, www.thelancet.com/public-health Vol 2 August 2017