Pourquoi l'incertitude nous pousse à modifier notre comportement

Pourquoi l'incertitude nous pousse à modifier notre comportement

Une situation d’incertitude inattendue est un facteur de motivation au changement de comportements, même si derniers n'offrent pas un meilleur résultat.

Dans le monde entier les individus ont radicalement modifié leurs comportements d'achat au début de la pandémie de COVID-19. Confrontés à une nouvelle incertitude, les acheteurs ont commencé à faire des réserves d'articles ménagers de base, notamment de papier toilette, pour faire face à cette nouvelle inconnue. Cette frénésie d'achat a conduit à des pénuries, même si, dans la plupart des cas, il y aurait eu suffisamment d'articles pour tous si les gens n'avaient acheté que ce dont ils avaient besoin. 

Ces comportements réactifs constituent une façon courante de gérer une incertitude inattendue. Ce type d'incertitude est une motivation si puissante à changer qu'elle nous incite souvent à ajuster notre comportement, même si ce n'est pas bon pour nous. "Lorsque les gens sont confrontés à un changement inattendu dans leur environnement, ils commencent à chercher des moyens d'atténuer cette incertitude", explique l'auteur principal de l'étude, le Dr Adrian Walker "Ils peuvent modifier leur comportement et leurs stratégies de prise de décision pour essayer de trouver un moyen de retrouver un certain sentiment de contrôle.

"De manière surprenante, notre étude a montré que l'incertitude inattendue incitait les gens à modifier leur comportement, même lorsqu'ils auraient mieux fait de s'en tenir à une ancienne stratégie."  Cette étude est la première à montrer que le type d'incertitude auquel nous sommes confrontés - c'est-à-dire le fait qu'elle soit attendue ou inattendue - joue un rôle clé dans notre réaction.

Par exemple, un travailleur urbain qui sait que son trajet du matin dure entre 30 et 50 minutes ne sera pas surpris par un trajet de 50 minutes. En revanche, un conducteur de campagne serait très surpris si son trajet prévisible de 30 minutes prenait soudainement 50 minutes.

Pour tester la façon dont les gens réagissent à un changement inattendu, les chercheurs ont demandé aux participants de l'étude de vendre une paire d'objets à l'un des deux sujets, à savoir des extraterrestres dans ce scénario, lors d’une simulation virtuelle. Leur tâche était simple : obtenir le plus de points (ou "dollars extraterrestres") possible.

Les participants devaient choisir à quel extraterrestre vendre une paire de produits chimiques, mais un seul de ces produits pouvait déterminer le montant que l'extraterrestre était prêt à payer. Les participants devaient trouver la combinaison de produits chimiques et d'extraterrestres qui leur rapporterait le plus de points.

Un premier groupe de 35 participants s'est familiarisé avec la tâche et a rapidement appris qu'une stratégie (disons l'option A) donnait la meilleure offre de 15 points. Mais au milieu de l'expérience, le modèle de récompense a changé, et l'option A donnait désormais un nombre aléatoire compris entre 8 et 22 points. 

"Dès que nous avons ajouté un élément d'incertitude, les participants ont commencé à chercher de nouvelles façons d'accomplir la tâche", explique le Dr Walker. "Le comble, c'est que dans tous les cas, la meilleure chose à faire était d'utiliser leur ancienne stratégie".

Selon le Dr Walker, la pandémie, et nos différentes réponses à celle-ci, représente un exemple à grande échelle d'incertitude inattendue. "Tout a changé très soudainement au début de COVID-19", dit-il.  "Nous nous sommes soudainement retrouvés à travailler à domicile, à changer leur façon de faire les courses et leur mode de socialisation. Les règles que nous suivions auparavant ne s'appliquaient plus, et il n'y avait, et il n'y a toujours pas, de réponse claire quant au moment et à la manière dont la pandémie se terminera.

Les personnes ont essayé toutes sortes de choses, comme le shopping de panique, pour réduire cette nouvelle incertitude et revenir à la "normale". Mais comme nous l'avons vu, toutes ces stratégies réactives n'étaient pas bonnes à long terme."

Le syndrome de la grenouille bouillante

Si l'incertitude inattendue a entraîné des réactions spectaculaires, l'incertitude attendue a eu l'effet inverse. 

Au cours de la deuxième phase de l'essai, les chercheurs ont introduit l'incertitude de manière progressive à un autre groupe de 35 participants. Les 15 points habituels de l'option A sont passés à 14-16 points, puis à 13-17 points, jusqu'à ce que l'incertitude atteigne 8-22 points.

"Le comportement des participants n'a pas changé de façon spectaculaire, même si l'incertitude a fini par atteindre les mêmes niveaux que dans la première expérience", explique le Dr Walker. "Lorsque l'incertitude était introduite progressivement, les gens étaient capables de maintenir leurs anciennes stratégies."

Bien que cette expérience ait été conçue pour que la stratégie originale soit la plus bénéfique, le Dr Walker affirme que d'autres recherches ont montré les inconvénients qu'il y a à ne pas changer de comportement face à un changement graduel. "Nous pouvons observer ce schéma dans de nombreux défis du monde réel, comme la crise du changement climatique", explique le Dr Walker.  "Lorsque le changement est lent et à peine perceptible, il n'y a pas d'incitation soudaine à modifier notre comportement, et nous nous en tenons donc à nos anciens comportements.

"Essayer d'obtenir une action sur le changement climatique ressemble beaucoup à la fable de la grenouille dans l’eau bouillante. Si vous mettez une grenouille dans une casserole et faites bouillir l'eau, elle ne se rendra pas compte de la menace parce que l'eau se réchauffe progressivement. Lorsqu'elle s'en aperçoit enfin, il est trop tard pour en sortir."

Selon le professeur Ben Newell, la prochaine étape importante de cette recherche consistera à traduire les connaissances sur la façon dont les gens réagissent à l'incertitude en laboratoire pour engager les gens dans l'action climatique.  "Si nous pouvons identifier les éléments déclencheurs de l'exploration de nouvelles alternatives, nous pourrons peut-être surmonter l'inertie inhérente au développement de nouveaux comportements durables", explique le professeur Newell.

Être certain de l'incertitude

L'incertitude est un phénomène auquel l'homme est confronté tous les jours, qu'il s'agisse de l'état de la circulation ou des questions posées lors d'un examen. Mais la pandémie de COVID-19 a jeté une nouvelle couche d'incertitude dans des domaines majeurs de notre vie, comme la carrière, la santé et les conditions de vie.

"Bien que cette étude ne donne pas une vue d'ensemble du comportement humain pendant la pandémie, elle peut aider à expliquer pourquoi tant de personnes ont cherché de nouveaux moyens d'ajouter de la certitude à leur vie", déclare le Dr Walker, chercheur à l'école de psychiatrie de l'UNSW Medicine & Health.

Commentaires pour les coachs de santé

Les résultats de cette étude s’appliquent probablement au domaine de la santé. 

La maladie chronique est une situation d’incertitude attendue. Nous savons que de mauvaises habitudes de vie vont finir par avoir un impact sur notre santé. Nous savons que des complications peuvent survenir, mais nous ne savons pas quand et avec quel niveau de gravité. Le changement de comportement s’avère vital pour combattre les mauvaises habitudes de vie à l’origine de la pathologie et pour mieux vivre avec cette maladie.  Mais la transformation d’un comportement est un acte difficile, car il s’inscrit en rupture avec une identité ou une trajectoire de vie. Un accompagnement du patient est souvent nécessaire pour lui apprendre à participer activement à l'amélioration de sa santé et devenir autonome dans la gestion de sa maladie. La relation soignant-soigné est de type adulte/adulte, elle tient compte des difficultés liées à la durée et aux aspects complexes de prise en charge, avec les risques de lassitude

La maladie aigue ou la peur brutale d’être gravement malade est une situation d’incertitude inattendue. Un stress aigue avec crises d’angoisse, voire de panique peuvent survenir et s’accompagner d’un sentiment de perte de contrôle de la situation. Des comportements non appropriés peuvent survenir dans ces situations. En cas d'annonce de maladie grave, le sujet sera en attente de soutien, de réconfort et de prise en charge. Il adopte un comportement passif et appliquera plus facilement les décisions des professionnels de santé. La relation est de type adulte/enfant et elle est centrée sur un objectif court terme

La pandémie telle que celle du covid 19 est une situation particulière par sa nouveauté et son ampleur, les inconnues sur les modes de transmission du virus et son pouvoir pathologène, l'abscence de traitement antiviraux et de vaccins au début de la pandémie, et donc la difficulté immense à agir de façon qui semble appropriée. L'agent infectieux étant nouveau et il n'y a pas de plan prévu pour cette situation. Une  situation d'incertitude inattendue est souvent dite "chaotique". Dans un système chaotique il n’y a plus de plus de lien de cause à effet identifiables et évidents car tout change constamment et rapidement. Ce qui était connu jusqu’à présent ne fonctionne maintenant plus. Il faut donc agir rapidement par essais-erreurs pour tester ce qui peut marcher et accepter l'idée de se tromper.

Dans une situation qui semble incontrôlable, les mécanismes de défense des individus ne vont pas manquer d'apparaitre : attaques de tout ce qui peut représenter une figure d'autorité (médicale ou politique) qui ne joue plus son rôle de protection, fuite à la campagne, sidération (on reste calfeutré chez soi sans sortir). Des comportements nouveaux, aberrants, inefficaces, inutiles qui donneront le sentiment de retrouver le contrôle sur sa vie. Des comportement d'hyperconsommation apportent l'illusion de calmer son angoisse (stockage de denrées alimentaires, de papier toilette, méfiance ou dénonciation de ses voisins, critiques des autorités de santé, protections excessive et paranoiaque contre le virus. Le débat scientifique (et aussi politique) sur les mesures d'urgences à adopter, indispensable dans une situation sanitaire chaotique, peut donner au citoyen le sentiment d'une grande confusion, d'une incapacité à agir et renforcer ainsi les peurs. Ceux qui ont la lourde responsabilité de gérer cette situation ont pour priorité de s'en extraire émotionnellement, puis d'avoir le courage de dire "Nous ne savons pas, nous n'avons aucune certitude, mais voilà ce qui nous semble le plus approprié, compte tenu de ce que nous savons"  Un propos qui appartient plus au monde de la recherche que celui de la politique. L’urgence est de rassurer en rétablissant de l’ordre et de la stabilité pour protéger les populations, avant de mettre en place des mesures curatives et préventives quand elles sont connues.

Ces situations sanitaires nouvelles confrontent les humains dans leurs capacités à penser de façon globale et systémique, de comprendre les liens entre l'apparitions de différents événements sanitaires. La pensée systémique est souvent ce qui fait le plus défaut en situations de stress dans lesquelles le repli sur soi et la méfiance se substituent à la confiance. La pandémie est pourtant une situation qui nous invite fortement à penser collectif et collaboratif, à nous rappeler que nous sommes tous profondément interconnectés, que nos comportements de santé impactent nécessairement la santé de ceux qui nous entourent, que le respect de nos droits implique le respect de nos devoirs collectifs, que la protection de notre liberté individuelle dépend de notre responsabilité vis à-vis de la collectivité dans laquelle nous voulons exprimer notre liberté. En cas de stress sévère chaque humain à besoin de la   la présence rassurante d'une figure d'autorité, une personne de confiance, qui nous explique avec calme les inconnues de la situation et tout ce qu'il va faire pour la changer. Le sentiment de confiance et de protection l'emportemront largement sur le contenu des explications et les décisions. 

Sources 

Protection from uncertainty in the exploration/exploitation trade-off” by Adrian Walker et al. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory and Cognition Psychonet 2021 

Why Uncertainty Makes Us Change Our Behavior – Even When We Shouldn’t ; Neuroscience Psychologie-30 juillet 2021