Les vertus de l’oubli

Les vertus de l’oubli

Le neurologue Andrew Budson et la neuroscientifique Elizabeth Kensinger expliquent le fonctionnement de la mémoire de manière simple, et donnent des conseils sur la façon de la conserver à mesure que nous vieillissons

Les idées fausses les plus courantes sur la mémoire 

Premièrement, la métaphore de l’informatique, à savoir une mémoire localisée dans une partie du cerveau, un peu comme un fichier informatique stockée sur un disque dur, est fausse.  La mémoire est un processus actif et laborieux. Se rappeler un événement du passé, demande un effort de reconstruire de cette mémoire. En second, il n’existe pas de mémoire photographique, c'est-à-dire une capacité à se souvenir sans effort de tout ce que l'on vient de voir. Nous nous souvenons avant tout des contenus associés à des ressentis. Enfin, une mémoire optimale n’est pas celle qui exclut l’oubli. Pour tenter de comprendre ce qui se passe dans l’instant, ou établir une prédiction, nous faisons appel aux événements mémorisés. Passer en revue tout ce qui nous est arrivé, serait inefficace. L'élagage est donc utile pour utiliser les éléments les plus pertinents de notre passé pour comprendre ce qui se passe dans le présent ou ce qui pourrait se passer dans le futur. 

Les étapes de la mémorisation 

Accéder à un contenu du passé est un processus comportant trois phases distinctes. La première est l’encodage c’est-à-dire l’entrée de l'information dans la mémoire. Puis il y a le stockage ou la consolidation des informations. C’est comme appuyer sur le bouton d'enregistrement du document créé sur l’ordinateur, à la différence que nous devons continuellement re-stocker ce contenu dans le cerveau. Et enfin, la restitution de cette information au moment où nous en avons besoin. Les défaillances de la mémoire peuvent refléter des erreurs à ces différentes étapes. La plus courante survient lors de la phase initiale d'encodage, pour laquelle nous pouvons ne pas consacrer assez d'efforts ou d'attention.

Ce que nous devons faire pour bien mémoriser 

Pour les auteurs, un bon encodage des informations dans notre mémoire implique quatre choses essentielles pouvant être résumées par le mot FOUR : 1) Focaliser son attention ; 2) Organiser l'information, 3) Understand (comprendre) l'information, 4) établir une Relation de l’information avec quelque chose d'autre que votre cerveau connaît déjà. C'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire. Quand une personne déclare : "Je suis allé à une fête, j'ai rencontré tous ces gens et je ne me souviens d'aucun de leurs noms", c'est qu'il n'a pas été assez attentif lors de la première étape, ce qui rend difficile la restitution des informations. Les étudiants font souvent cette expérience : ils connaissent le contenu, mais ne sont plus capable de le restituer lors d'un examen. Ou vous pouvez regarder le visage de quelqu'un dont vous connaissez le nom, mais sans pouvoir le retrouver dans l’instant. Dans ces situations, évitez de générer des réponses possibles et préférez utiliser des indices généraux de récupération, comme penser aux situations dans lesquelles vous avez vu cette personne.

L’impact du manque de sommeil sur la mémoire

Le sommeil est essentiel au stockage des informations afin d'y avoir accès à plus long terme. Le sommeil facilite de passage de l'information d'un stockage bref à un stockage à long terme. Le sommeil permet de déduire une connaissance d’un événement spécifique, comme par exemple savoir que le point d'ébullition de l'eau était est de 100 degrés à partir des circonstances d’apprentissage à l’école. 

Si le sommeil est important pour consolider les souvenirs et aussi, du moins selon une nouvelle théorie, pour éliminer la protéine bêta-amyloïde au cours de la nuit. On considère que cette protéine est associée au déclenchement de la démence de la maladie d'Alzheimer. En dormant, les cellules nerveuses de notre cerveau et les synapses se raccourcissent pour faciliter l’évacuation de cette protéine qui s'accumule pendant la journée. Si la fonction de cette protéine amyloïde est encore mal connue, elle pourrait constituer un élément important du système immunitaire du cerveau qui se défend des envahisseurs tels les bactéries, les virus, les parasites et les champignons. Pour maintenir notre cerveau en bonne santé, nous avons besoin d‘un bon sommeil, mais aussi d’une alimentation correcte, d’un exercice aérobique régulier, de veiller à son poids et rester socialement actif.

Les exercices qui aident à maintenir une bonne mémoire 

En pratiquant des jeux informatisés ou du Sudoku, on devient meilleur aux jeux cognitifs, mais cela ne se traduit généralement pas par une amélioration globale des fonctions cérébrales. Nous savons que la pratique d’activités cognitives stimulantes présente des avantages. Une étude récente a comparé la pratique des mots croisés à celle des jeux d'entraînement informatisés et montré que les personnes qui faisaient des mots croisés s'en sortaient mieux. Les mots croisés peuvent être bénéfiques parce qu'ils sont toujours un peu différents et qu'ils nous obligent à réfléchir aux mots et à nos connaissances de manière différente et originale. L’important est probablement de faire ces exercices avec les autres. Notre cerveau n'a pas évolué pour faire des mots croisés ou des jeux informatiques ; il a évolué en grande partie pour favoriser les interactions sociales. Il est donc important de rester actif socialement. En résumé, il faut bien manger, faire de l'exercice, se maintenir en éveil cognitif, rester actif socialement et dormir.

L’évolution de la mémoire avec le vieillissement 

Les troubles de la mémoire sont très fréquents lors du vieillissement, en dehors de la présence d’une maladie d'Alzheimer. Nous oublions le nom de quelqu'un, le titre du livre que nous avons lu la semaine dernière, et certains détails d’une situation car avec le vieillissement, le cerveau a tendance à privilégier l'essentiel de ce qui s'est passé. Le cerveau âgé s'attache aux similitudes entre les événements plutôt qu’à l’événement particulier. Ces difficultés de mémorisation peuvent être sources de frustrations, de vulnérabilités à certains types de distorsions mnésiques, ou de faux souvenirs, par exemple en pensant qu'un événement s'est produit alors que ce n’est pas le cas. Cette tendance du cerveau à reconnaître les similitudes entre les événements peut présenter des avantages, par exemple en contribuant à ce que nous considérons comme la sagesse qui vient avec la vieillesse.

Les conseils pour améliorer la mémoire 

Il n'y a rien de mal à externaliser sa mémoire en utilisant des aides-mémoire. Pour ne pas avoir à mémoriser une liste de courses ou d'un rendez-vous à venir, écrivez-les sur un papier, votre téléphone, un agenda, ou les rappels des calendriers. Économisez votre mémoire autant que possible. Notez tous vos mots de passe numériques dans un endroit sécurisé. Pour mieux vous souvenir des choses du quotidien, efforcez-vous d'être présent et de faire attention à ce que vous faites, et évitez d’être multitâches. Si vous allez dans un endroit qui ne vous est pas familier, soyez attentif. Efforcez-vous de transformer ce que vous faites en habitudes et en routines autant que possible, afin qu’elles deviennent une habitude.

Le moyen mnémotechnique FOUR est aidant pour se souvenir de quelque chose d'important. Les petits moyens mnémotechniques que nous créons sur le moment sont également utiles et puissants car ils exigent de faire les quatre choses, et surtout de faire un effort pour créer le souvenir. Si vous êtes énervé de ne pas retrouver votre téléphone, il s'agit souvent d'une erreur d'encodage car vous avez posé votre téléphone quelque part sans faire attention. Une bonne façon de faire est de poser votre téléphone, en le disant à voix haute : « Je pose mon téléphone sur le comptoir. » 

Un conseil important pour les étudiants qui préparent un examen : ne bachotez pas. Le sommeil est important pour consolider les souvenirs. Vous n'aurez souvent pas assez de temps pour acquérir une nouvelle compréhension au cours d’une nuit, car cet apprentissage implique l’intégration des informations de différentes manières et dans différents contextes. Étudier dans de nombreux endroits différents, à différents moments de la journée vous aidera à vous souvenir de l'information. Du fait de cette variabilité, de ce besoin de sommeil et de temps nécessaire à la compréhension, les étudiants doivent se préparer aux examens le plus tôt possible et tout au long du semestre plutôt que de bachoter juste avant l’examen final.

Commentaires pour les coachs de santé

La question de la mémorisation des propos du client est fondamentale lors d'un coaching. Alors comment faire ? Vous pouvez devenir un miroir de l’expérience subjective de votre client, par exemple en reformulant les mots exacts utilisés. Les reformulations ou récapitulations du coach témoignent d’une écoute réellement active et servent d’ancrages auditifs pour inviter à poursuivre la description d’une expérience. Il est également important de mémoriser les gestes du client associés à une expérience agréable ou désagréables, car ces gestes sont des ancres somatiques qui permettent de maintenir le sujet associé. Un accompagnement efficace implique donc souvent un important exercice de mémorisation de la part du coach. Comme le dit l’article, tout est question d’encodage grâce à une grande attention au présent, et de stockage des informations, par exemple en reproduisant le langage non verbal du client. Pour pouvoir faire tout cela, une forte présence à vous-même est indispensable, toute votre attention devant être focalisée sur l’instant présent, sur ce qui se passe en vous et chez l’autre. La moindre distraction pouvant vous faire rapidement passer à côté de ce que vous dit votre client.  Votre mental peut vous aider à mémoriser, mais votre corps aussi. Pour bien mémoriser ce que dit votre client, faites l'expérience de ce qu'il vous dit, adoptez la deuxième position de perception, rentrrez dans ses pompes un instant pour vivre l'impact émotionnel de ses mots. 

Sources 

Why we remember, and forget. And what we can do about it, by Liz Mineo, Harvard Gazette Medical x press FEBRUARY 3, 2023

Andrew Budson et Elizabeth Kensinger  "Why We Forget and How to Remember Better : The Science Behind Memory