Les sujets aphantasiques ont des représentations visuelles moins détaillées

Les sujets aphantasiques ont des représentations visuelles moins détaillées

Les descriptions visuelles des sujets aphantasiques sont moins détaillées que celle des sujets témoins, sur les souvenirs comme sur les situations imaginées.

On considère que notre capacité à revivre le passé et à imaginer le futur dépend fortement de l'imagerie visuelle, qui nous permet de construire des représentations sensorielles complexes en l'absence de stimulation sensorielle. La très grande majorité des individus sont capables de faire apparaître une image dans leur tête. Mais environ 2 à 5 % sont considérés comme incapables de produire une image mentale et souffrent d'un problème appelé aphantasie. Cette bizarrerie constitue un modèle rare et naturel pour étudier le rôle de l'imagerie visuelle dans le rappel de la mémoire épisodique.

Une étude publiée dans Cognition a montré que l'aphantasie peut affecter les capacités de mémorisation. Les chercheurs déclarent que les personnes atteintes d'aphantasie ont des souvenirs moins détaillés et moins riches des événements de leur vie. Cette découverte souligne le rôle clé de l'imagerie mentale dans la mémoire en général.

Des travaux précédents avaient montré que les personnes atteintes d'aphantasie étaient incapables d’avoir des images mentales lorsqu'elles se rappellent les événements passés de leur vie ou lorsqu'elles pensent à des événements futurs potentiels. Mais ces résultats étaient basés sur l'évaluation par les participants de leurs propres capacités. Les chercheurs ont donc décidé d'examiner si les participants aphantasiques présentaient également des déficits mnésiques avec des mesures plus objectives.

Pour cette étude, 30 sujets atteints d'aphantasie et 30 sujets témoins ne présentant aucun problème d'imagerie mentale ont été recrutés.  Tous les participants ont répondu à un questionnaire leur demandant d'indiquer le degré de vivacité de divers types d'images mentales, y compris lors du rappel de scènes de leur vie. Comme lors des études précédentes, les participants aphantasiques ont déclaré avoir une imagerie mentale moins vive, avec cependant une imagerie spatiale aussi bonne que celle des participants témoins.

Pour évaluer de façon plus "objective" des déficits mnésiques, l'équipe a étudié les informations fournies par les participants lorsqu'ils décrivaient leurs souvenirs. Les participants ont été invités à rédiger une description de six souvenirs de leur vie, et de 6 six événements hypothétiques du futur. Les chercheurs ont examiné les différentes catégories de détails contenus dans ces descriptions, par exemple, les détails relatifs aux sensations, aux pensées ou aux émotions des participants. Après avoir rédigé chaque description, les participants ont également fait part de leurs propres expériences subjectives de cet événement particulier, en indiquant par exemple à quel point il était vivant et quelle était l'intensité de l'émotion ressentie.

Les chercheurs ont constaté que les descriptions visuelles des participants aphantasiques étaient moins détaillées que celle des participants témoins, sur les souvenirs comme sur les situations imaginées. Les deux groupes ne différaient pas dans la quantité de détails qu'ils donnaient concernant d'autres modalités sensorielles tels que l'odorat ou l'ouïe.

Les deux groupes différaient également dans leur façon de raconter le vécu des souvenirs et des situations imaginées du futurs. Comparés aux sujets témoins, les aphantasiques ont indiqué que les événements étaient moins vifs et contenaient moins de détails sensoriels ou spatiaux, par exemple, et ils ont également déclaré ressentir moins d'émotions en pensant à l'événement.

Les résultats montrent donc que les personnes atteintes d'aphantasie ont des souvenirs moins vifs et moins détaillés, et surtout lorsqu'il s'agit de détails visuels. Cet effet apparait clair lors des déclarations sur leur expérience, ou lors des évaluations plus "objective". Les auteurs écrivent que leurs résultats représentent la "première preuve comportementale robuste que l'absence d'imagerie visuelle est associée à une capacité significativement réduite de simuler le passé et de construire le futur".

Les déficits visuels des aphantasiques impliquent donc que l'imagerie mentale joue un rôle important pour se remémorer des événements du passé ou imaginer l'avenir. Ces résultats ne sont pas surprenants, mais il avait été difficile de le démontrer jusqu'à présent. Mais il faut surtout retenir que l'étude montre que les personnes atteintes d'aphantasie sont encore capables de retrouver des souvenirs et de construire des images du futur. Par contre l'imagerie mentale semble particulièrement impliquée dans la capacité à "revivre" pleinement les événements.

Commentaires pour les coachs de santé

Je me suis toujours interrogé sur la réalité de la situation des personnes qui n’arrivent pas à stimuler l’imagerie mentale. Car comment vivre sans image mentales ? Comment un sujet aphantasique peut-il savoir qu’il est bien sur le chemin de sa maison, qu’il retrouve bien son conjoint ou ses enfants chez lui, et pas des inconnus ? Comment savoir si je suis déjà venu ou pas dans une rue, une ville, un batiment ? Pour répondre à ces questions nous avons besoin de comparer les représentations du présent avec celle du passé. Sans ces repères visuels, nous ne pouvons pas distingué le connu du nouveau, nous ne pouvons pas nous orienter dans la vie. L’étude montre donc que les aphantasiques sont capables de se représenter le passé comme le futur, mais avec moins de détails que les sujets témoins et que les autres modalités sensorielles sont préservées. L’étude montre également qu’il y a un écart entre le déficit visuel déclaré et le déficit visuel objectivé. Les croyances sur les capacités à se représenter visuellement les événements ont dû jouer un rôle. 

Par contre il semble que les aphantasiques aient plus de mal à ressentir les événements du passé comme les situations désirées. Ces informations sont importantes dans le coaching de santé car le rapport au temps joue un rôle capital dans le changement d’état de santé. Pour changer un état présent, nous avons besoin d’atténuer l’impact des événements du passé sur notre présent et également de renforcer l’impact d’un futur en créant des motivations suffisamment puissantes pour faciliter les changements comportementaux. Nous avons pour cela besoin des images mentales du passé et du futur, et les résultats de l’étude confirment que c’est possible, même si la richesse des détails est moindre. C’est donc l’occasion de faire appel aux modalités sensorielles qui ont été préservées. 

Sources

Memories with a blind mind: Remembering the past and imagining the future with aphantasia; Alexei J.Dawesa, Rebecca Keoghab, Sarah Robucka, Joel Pearsona ; Cognition Volume 227, October 2022, 105192; https://doi.org/10.1016/j.cognition.2022.105192