Les hommes souffrant d’HTA surestiment la colère d'autrui

Les hommes souffrant d’HTA surestiment la colère d'autrui

Les hommes souffrant d’HTA reconnaissent plus souvent les expressions de colère lorsqu'ils regardent le visage des autres

Dans la majorité des cas d’hypertension artérielle (HTA), on ne trouve pas d'explication médicale claire, on parle alors d'"hypertension essentielle". Les facteurs psychologiques pourraient-ils jouer un rôle ? Des chercheurs en psychologie de Constance (RFA) et de Suisse, ont mené une étude de plusieurs années auprès de participants masculins pour mieux comprendre les mécanismes psychobiosociaux de l'HTA, car les travaux antérieurs dans ce domaine ont laissé de nombreuses questions ouvertes.

Dans un article (1) publié dans les Annals of Behavioral Medicine le 22 mars 2022, les chercheurs montrent que par rapport à un groupe témoin en bonne santé, les hommes souffrant d’HTA reconnaissent plus souvent les expressions de colère lorsqu'ils regardent le visage des autres. En outre, ce biais de reconnaissance de la colère semble contribuer à l'augmentation de la pression artérielle au fil du temps si une personne a tendance à ressentir fréquemment et intensément de la colère. Cette tendance est appelée "trait de colère".

Reconnaissance des émotions mixtes

Dans leur étude portant sur 145 hommes hypertendus et normotendus, les chercheurs ont présenté différentes images de personnes en colère. Toutefois, les images ne montraient pas uniquement la colère, mais combinaient la colère avec l'une des trois autres émotions suivantes : la peur, la joie et la tristesse. Cette approche s'explique par le fait qu’au quotidien, les visages des individus montrent rarement une seule émotion. Les émotions mixtes sont plus fréquentes. Chacune des images transformées par l'ordinateur présentait deux émotions avec des intensités d'affect variables. On a demandé aux participants quelle émotion ils voyaient dans les images.

"Les hommes hypertendus ont reconnu la colère plus souvent que toute autre émotion" explique Alisa Auer. "Ils ont donc surestimé la colère affichée sur le visage d'autres personnes par rapport à notre groupe de contrôle sain". Petra Wirtz ajoute : "La surestimation de la colère affichée par d'autres personnes semble avoir une incidence sur le fait qu’une "colère caractéristique" élevée contribue à l'augmentation de la pression artérielle au fil du temps." Les facteurs interpersonnels semblent donc jouer un rôle dans l'HTA. L'attente d'associations entre l'hypertension et les aspects sociaux est l'une des raisons pour lesquelles l'étude a été soutenue par le pôle d'excellence "Centre for the Advanced Study of Collective Behaviour".

Améliorer le traitement de l'hypertension essentielle

Auer et Wirtz espèrent que leurs résultats seront examinés et confirmés par d'autres chercheurs. "Ensuite, une prochaine étape serait de proposer aux personnes souffrant d'HTA essentielle un soutien plus ciblé", explique Alisa Auer. Cette dernière pense à "des traitements thérapeutiques qui s'adressent à la perception qu'une personne a de son environnement social afin de la protéger de la colère des autres."

De telles interventions thérapeutiques seraient importantes, car les médicaments hypotenseurs ne traitent que les conséquences de l'hypertension, mais pas les causes potentielles. En outre, l'HTA est l'un des principaux facteurs de risque des maladies cardiovasculaires. En 2020, comme les années précédentes, l'Office fédéral de la statistique (Destatis) a répertorié les maladies cardiovasculaires comme la principale cause de décès en Allemagne. "338 001 décès, soit plus d'un tiers de tous les décès (34 %), peuvent être attribués aux maladies cardiovasculaires", indique Destatis. Les maladies cardiovasculaires sont particulièrement mortelles pour les personnes âgées : 93 % des personnes décédées de maladies cardiovasculaires avaient 65 ans ou plus.

Qu'en est-il des femmes ? Les chercheurs espèrent que les futures études incluront les femmes. Étant donné que les femmes peuvent éventuellement reconnaître les émotions différemment des hommes et que moins de femmes souffrent d’HTA, l'étude s'est d'abord concentrée sur les hommes.

Commentaires pour les coachs de santé

J’aimerais faire deux commentaires, d’une part sur le lien entre colère et HTA et d’autre part sur les moyens d’utiliser les résultats de l’étude ci-dessus. 

Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, parlait des répresseurs à propos de ceux qui contiennent leur colère, qui cherchent à ignorer et dissimuler leurs émotions pour laisser croire qu’ils contrôlent la situation. Franz Alexander (3) un médecin psychanalyste et pionnier de la médecine psychosomatique, fut l’un des premiers à étudier la relation entre les émotions et l’hypertension. Pour cet auteur il existe un lien entre la colère contenue ou inhibée et l’HTA. Les patients souffrant d’HTA auraient un profil de personnalité particulier, avec une apparence de docilité et de dépendance aux autres (dites-moi ce que je dois faire !) et des difficultés à exprimer leur désaccord, ce qui pourrait se transformer en hostilité et rancœur. Une tension se produirait entre le ressenti de colère qui accroit la circulation sanguine et sa répression qui est source de vasoconstriction. 

Les résultats d’une méta-analyse (4) de 2012 portant sur 22 études et 6775 patients montrent que ceux qui refoulent leurs émotions voient leur rythme cardiaque s’emballer sous le coup de la colère. À long terme ces situations favorisent le développement de certaines maladies, surtout l'HTA et, de façon moins prévisible, le cancer. En revanche, ceux qui arrivent à exprimer leur colère dans les situations tendues ont plus à risque de déclencher des maladies coronariennes. Aucune différence n'a été constatée pour les autres maladies cardiovasculaires, les attaques cardiaques ou l'asthme.

La solution semble donc de laisser s’exprimer ses émotions et de pousser un “coup de gueule” si besoin … mais pas trop longtemps et pas trop souvent, sinon vous risquez de vous abimer les coronaires. 

Si on peut retenir que si la colère refoulée n’est pas bonne pour la santé, il faut aussi garder en tête que l'espérance de vie est liée à bien d’autres facteurs que la colère, tels que l’alimentation et l’exercice.  Il convient également de rassurer les introvertis car si une émotion forte les perturbe de façon importante, ils savent revenir rapidement à un état de calme. 

L’autre question posée par l’étude est celle des "traitements thérapeutiques qui s'adressent à la perception qu'une personne a de son environnement social afin de la protéger de la colère des autres." Si la colère refoulée est un déclencheur de l’HTA, comment interrompre ce lien causal ? Nous savons que notre système nerveux conserve une mémoire des situations associées aux émotions fortes, et que ces émotions peuvent être réactivées par la confrontation réelle ou imaginaire avec les déclencheurs du contexte initial. Les visages colériques des personnes rencontrées sont peut-être des ancres (ou stimuli) qui renvoient la personne à ses propres expériences de colère. Je fais l’hypothèse de l’existence d’un mécanisme proche de celui des intolérances ou des allergies. Dans le cas de l’HTA déclenchée par la colère, c’est un peu comme si la personne faisait une « intolérance » à la colère des autres, qui résonne avec ses propres expériences de colère. Si tout cela n’est que spéculation, rien ne nous empêche de tenter quelques approches de « protection de la colère des autres » à condition bien sur que les sujets conservent leurs traitements contre l’HTA. La technique du contre-exemple pour les allergies et les intolérances de Robert Dilts (5) me semble appropriée. Dans cette approche on considère que le système immunitaire a fait initialement une erreur d’interprétation du risque associé à la présence d’un déclencheur (par exemple un allergène ou le gluten) du fait d’une menace perçue pour son intégrité physique ou psychologique. Il convient donc de calmer médicalement la réaction allergique, de prévenir les réactions en évitant le contact avec les déclencheurs, et aussi d’intervenir sur la cause initiale, pour interrompre le lien de cause à effet entre l’image de la colère et la réaction d’élévation de la tension artérielle.  

Sources

(1) Do Hypertensive Men Spy With an Angry Little Eye? Anger Recognition in Men With Essential Hypertension - Cross-sectional and Prospective Findings. Annals of Behavioral Medicine, 2022; DOI: 10.1093/abm/kaab108; lisa Auer, Roland von Känel, Ilona Lang, Livia Thomas, Claudia Zuccarella-Hackl, Cathy Degroote, Angelina Gideon, Roland Wiest, Petra H Wirtz. 
(2) Men with high blood pressure have a biased recognition of other people’s anger.. ScienceDaily, 31 March 2022.
(3) Emotional Factors in Essential Hypertension: Presentation of a Tentative Hypothesis FRANZ ALEXANDER; Psychosomatic Medicine, 1 January 1939; DOI:1097/00006842-193901000-00013
(4) Mund, M., & Mitte, K. (2012). The costs of repression: A meta-analysis on the relation between repressive coping and somatic diseases.Health Psychology, 31(5), 640–649.https://doi.org/10.1037/a0026257
(5) Croyance et Santé de Robert Dilts, Suzi Smith, Tim Hallbom La méridienne Paris