Le placébo peut-il devenir un traitement comme les autres ?

Le placébo peut-il devenir un traitement comme les autres ?

Avec une efficacité largement démontrée, un prix quasi nul, une absence de toxicité et de risques de dépendances, comment expliquer que les placebos ne soient pas plus utilisés en médecine ? 

Les scientifiques définissent les "effets placebo" comme les résultats positifs qui ne peuvent être expliqués par les effets biologiques ou physiques d’un traitement. Des études (1) ont montré que des pathologies telles que la dépression, la douleur, la fatigue, les allergies, le syndrome du côlon irritable, la maladie de Parkinson et même l'arthrose du genou réagissent positivement aux placebos. L’efficacité du placebo serait dû à des attentes positives, à la relation entre le soignant et le soigné, et aussi aux rituels entourant les soins médicaux.

Les organismes tels que la FDA aux USA ou le Ministère de la Santé en France qui régulent la mise sur le marché des médicaments, exigent la démonstration que l’efficacité des nouveaux médicaments soit supérieure à celle d’un traitement placébo, dans le cadre d'essais cliniques contrôlés (comparatifs) et randomisés (les traitements réels ou placébo sont attribués de façon aléatoire). Sur la base de ces critères, des études (2) montrent que de nombreux médicaments n'apportent pas plus de soulagements que les traitements placebo. Les laboratoires pharmaceutiques qui inventent et développent ces médicaments peuvent avoir une tendance à considérer les effets placébo comme des nuisances.

Sur la base des déclarations d’amélioration de leurs patients, les médecins peuvent dire que les médicaments qu’ils prescrivent sont efficaces, même si des études récentes (2,3) montrent que seul un traitement médical sur dix répond aux hauts standards de qualité et d’efficacité des essais cliniques. Ce qui signifie que l’amélioration clinique de nombreux patients est dû à l’effet placebo.

Pour l’expert en placebo Irving Kirsch (1), une grande partie de l’efficacité des antidépresseurs, dont la consommation d’antidépresseurs a explosé aux USA, vient de l'effet placebo, c’est-à-dire de la croyance que le médicament sera bénéfique à soulager la souffrance.

Le pouvoir du placebo se résume à la capacité d'une personne à exploiter le pouvoir de son esprit. Si le médecin et son patient partagent la croyance que le médicament placebo prescrit pour une douleur sera efficace le produit a toutes les chances d’être efficace. C’est ce qu’on appelle l’effet d’attente. Si je suis convaincu que quelque chose va survenir, ma physiologie m’aide à l’obtenir. L’efficacité du placebo peut être accrue par sa forme (pilule ou gélule), son mode d’administration, sa couleur, son prix ou sa nouveauté. 

Les placebos activent les divers systèmes de guérison déjà présent dans le système corps-esprit de chaque personne, mobilisent les mécanismes psycho-neuro-immunologique. Ils fonctionnent également en créant des réponses conditionnées, un peu comme le chien de Pavlov qui salivait devant de la nourriture, le son d’une cloche ou la blouse blanche du médecin. De nombreuses maladies sont la conséquence du stress chronique et on peut considérer qu’en réduisant le stress, le placebo peut réduire les symptômes d’une manière objectivable. Mais l’effet du placébo n’est pas que psychologique puisque des études (1) utilisant l’imagerie cérébrale mettent en évidence des changements dans des zones cérébrales, en réponse à des traitements placebo efficaces contre la douleur.  

Avec une efficacité largement démontrée, un prix quasi nul, une absence de toxicité et de risques de dépendances, comment expliquer que les placebos ne soient pas plus utilisés en médecine ?  Le placébo peut améliorer les traitements médicaux classiques et apporter de l'espoir aux patients qui se trouvent dans des situations médicales pour lesquelles il n'y a pas de traitement médicamenteux disponible. Et pourtant l'utilisation délibérée des placebos fait encore l'objet de nombreuses réserves. L’argument fréquent est qu’il n’est pas éthique de prescrire un faux médicament et de tromper le patient. 

Compte tenu des multiples avantages du placebo, l'American Medical Association (1) considère que son utilisation, seule ou en association avec des principes actifs, peut favoriser la guérison et est éthique si le patient y consent.

La société internationale pour les études interdisciplinaires sur les placebos (5) a rédigé une déclaration de consensus sur l'utilisation des placebos en médecine et des recommandations sur la manière d'en parler avec les patients. 

Ce qu’il faut faire

1-Considérer les effets placebo comme faisant partie du traitement régulier
2- Informer les patients sur les effets placebo de manière à maximiser les effets du traitement et à minimiser les effets secondaires. 
3- Assurer une relation patient-clinicien caractérisée par la confiance, la chaleur et l'empathie afin de maximiser les effets placebo et de minimiser les effets nocebo.
4- Former les prestataires de soins de santé à la communication patient-clinicien afin de maximiser les effets placebo et minimiser les effets nocebo.
5-Préférer la prescription « ouverte » d'un placebo plutôt que « cachée » dans les cas où l'efficacité est prouvée et où la prescription d'un placebo est légale.

Ce qu’il ne fait pas faire

1-Ne pas prendre de risques (par exemple, prescrire des traitements invasifs) pour maximiser les effets placebo.
2-Ne pas considérer la tromperie comme une composante nécessaire des effets placebo.

Le groupe d'experts pour la communication d'informations sur les effets placebo et nocebo (6) fait de son côté les recommandations suivantes

Informer les patients sur les effets placebo et nocebo

1-Les patients doivent être informés que les effets placebo sont des effets bénéfiques, qu'ils représentent une réaction authentique du corps qui favorise la guérison et la réponse au traitement, qu'ils sont inhérents à tout traitement et que tout le monde peut les ressentir.
2-Les patients doivent être informés du rôle potentiel des effets nocebo dans l'augmentation des effets indésirables.
3-Les patients doivent recevoir des informations sur les mécanismes psychologiques et neurobiologiques sous-jacents des effets placebo et nocebo, tels que l'apprentissage associatif et les attentes
4-Les informations fournies aux patients sur les effets placebo et nocebo doivent être fondées sur des preuves et ne pas surestimer l'ampleur des effets placebo.  Lors de l'information sur les effets nocebo, il faut veiller à ne pas provoquer par inadvertance une iatrogénie.
5-La manière d'informer les patients sur les effets placebo et nocebo doit être adaptée aux circonstances spécifiques, aux patients et au contexte des soins de santé.
6-Lors de l'information des patients, il convient d'utiliser les termes d'effet placebo et d'effet nocebo, ainsi que des termes connexes pour expliquer les mécanismes (par exemple, attentes, confiance et peur des effets secondaires),

Formation des cliniciens à la communication sur les effets placebo et nocebo

7- La formation des cliniciens à la communication sur les effets placebo et nocebo doit inclure un aperçu des effets et des implications cliniques des effets placebo et nocebo pour différentes pathologies, ainsi que des mécanismes neurobiologiques et psychologiques sous-jacents.
8-La formation doit souligner la nécessité d'adapter l'information aux besoins spécifiques de chaque patient, au type de traitement et au contexte dans lequel il est proposé, en intégrant les considérations éthiques relatives à l'information des patients sur les effets placebo et nocebo.
9-La formation doit mettre l'accent sur ce que les cliniciens peuvent faire pour maximiser les effets placebo et minimiser les effets nocebo.
10-La formation doit utiliser différents formats pour informer les cliniciens sur les effets placebo et nocebo (par exemple, face à face, devoirs en ligne et informations écrites)

« Dans le passé, les patients dont l'état s'améliorait grâce à un effet placebo pouvaient se sentir gênés, comme si leur maladie n'était pas réelle. Avec l'acceptation et la promotion croissantes des effets placebo par le milieu médical, nous pouvons envisager une époque où les patients et les cliniciens seront fiers de leur capacité à exploiter la réponse placebo. » dit Jeremy Howick (1).

Commentaires pour les coachs de santé

Il existe donc maintenant un cadre éthique à l'utilisation des placébos en clinique. Il reste à convaincrre les laboratoires pharmaceutiques (ou les officines) de les fabriquer, sans sentiment d'humiliation, et de convaincre les médecins de les utiliser, sans sentiment de manipulation ou de remise en cause de leur serment d'hypocrate. car on leur demande de faire consciement ce qu'ils font le plus souvent inconsciement.  Les « médicaments de conforts » largement prescrits par les médecins, illustrent très bien l’effet placebo est déjà largement utilisé par les médecins. Ces produits dont l’efficacité n’est pas démontrée, sont pourtant extrêmement utiles comme "ancrages" de la relation soignant-soigné, et comme catalyseur d’un processus naturel de guérison, surtout s’ils sont prescrits avec assurance par le soignant. Le médecin (sa blouse blanche et tout ce qu’il représente), ainsi que la relation soignant-soigné sont des placebos au même titre que le support (médicament, technique). L'effet placebo résulte de ce que les gens croient être efficace pour eux. Il reste donc maintenant a officialiser la véritable place du placebo en médecine, et créer les conditions optimales de sa délivrance et de son efficacité. 

L'effet placebo semble reposer sur la crédibilité d'un support de diffusion (une substance, une technique), sur « l’adéquation » du support avec le système de croyances de la personne, et sur le niveau d'influence des personnes qui délivrent le placebo. Une approche intégrée, impliquant à la fois la médication et un soutien de l'attente de réponse positive, semble être la procédure la plus efficace pour traiter la maladie, et en même temps alléger considérablement les dépenses de santé de la sécurité sociale. Les soignants doivent savoir aider leurs patients à construire une carte plus riche, multi sensorielle des actions futures et de ce qui est attendu des soins prodigués. Dans la plupart des situations médicales, l’effet placebo consistera en une attitude de bienveillance, quelques mots de réassurance, un geste de soutien. Dans les situation médicales dites « graves » il convient certainement d’aller plus loin en aidant le patient à installer en lui le niveau d’attente du résultat, par exemple par la définition d’un but de vie « irrésistible » et la transformations des croyances limitantes en croyances « gagnantes » Par exemple, transformer le sentiment de perte d’espoir en optimisme, le sentiment d’impuissance en confiance, et le sentiment d’absence de valeur en estime de soi. 

Sources

(1)  In research studies and in real life, placebos have a powerful healing effect on the body and mind; Medical X press February 14, 2022, by Elissa H. Patterson, Hans Schroder,  The Conversation
(2)  The quality of evidence for medical interventions does not improve or worsen: a metaepidemiological study of Cochrane reviews ; Jeremy Howick, and al., Journal of Clinical Epidémiology; September 02, 2020 ; REVIEW| VOLUME 126, P154-159, OCTOBER 01, 2020 DOI:https://doi.org/10.1016/j.jclinepi.2020.08.005
(3) Only 1 in 10 Medical Treatments Is Backed by High-Quality Evidence, Study Finds JEREMY HOWICK, THE CONVERSATION ; 3 SEPTEMBER 2020 ; https://www.sciencealert.com/around-90-percent-of-your-medical-treatments-isn-t-backed-by-high-quality-evidence
(4) nternational Society for Interdisciplinary Placebo Studies.https://placebosociety.org/home
(5) Implications of Placebo and Nocebo Effects for Clinical Practice: Expert Consensus, ;Psychother Psychosom 2018;87:204–210https://doi.org/10.1159/000490354
(6° What Should Clinicians Tell Patients about Placebo and Nocebo Effects? Practical Considerations Based on Expert Consensus; Andreas W.M. Evers  and al., Psychother Psychosom 2021;90:49–56  ; https://doi.org/10.1159/000510738