Le côté obscur de la méditation de pleine conscience

Le côté obscur de la méditation de pleine conscience

La pratique de la méditation de pleine conscience chez des personnes qui se considèrent comme plus "indépendantes" ou égocentriques diminue la générosité et augmente l’égoïsme. Traduction d’un article de Michael Poulin dans The Conversation 

Sortir quelque chose de son contexte géographique ou culturel change souvent la chose elle-même. Par exemple en hindi moderne, le mot "namaste" est utilisé comme salutation respectueuse, comme un "bonjour" formel approprié pour s'adresser à ses aînés. Mais aux États-Unis, son association avec le yoga a conduit de nombreuses personnes à croire qu'il s'agit d'un mot intrinsèquement spirituel.

La pratique de la pleine conscience est une autre tradition culturelle qui a évolué au fil du temps et des lieux géographiques. La pleine conscience est une conscience expansive et sans jugement de ses expériences, souvent cultivée par la méditation.

De nombreuses études ont montré les bénéfices de la pleine conscience chez ceux qui la pratiquent. Mais peu de recherches ont examiné ses effets sur la société, les lieux de travail et les communautés. En tant que psychologue social, je me suis demandé si l'enthousiasme croissant pour la pleine conscience ne masquait pas quelque chose d'important, à savoir la façon dont sa pratique peut affecter les autres.

Le marché américain de la méditation - qui comprend les cours de méditation, les espaces et les applications - représente environ 1,2 milliard de dollars. Il devrait atteindre plus de 2 milliards de dollars d'ici 2022. Les hôpitaux, les écoles et même les prisons enseignent et encouragent la pleine conscience, et plus d'un employeur sur cinq propose actuellement une formation à la pleine conscience.

Cet enthousiasme pour la pleine conscience est logique : la recherche montre que la pleine conscience peut réduire le stress, augmenter l'estime de soi et diminuer les symptômes de la maladie mentale. Compte tenu de ces résultats, il est facile de supposer que la pleine conscience présente peu d'inconvénients, voire aucun. En d'autres termes, la pleine conscience est perçue comme pouvant rendre les gens plus généreux, plus coopératifs ou plus serviables, autant de caractéristiques souhaitables chez les employés ou les étudiants.

Les migrations de la pratique de la méditation de pleine conscience

Mais en réalité il y a de bonnes raisons de douter que la pleine conscience, telle qu'elle est pratiquée aux États-Unis, conduise automatiquement à de bons résultats. En fait, elle pourrait même faire le contraire, car elle a été sortie de son contexte initial. 

La pleine conscience s'est développée dans le cadre du bouddhisme, dans lequel elle est intimement liée aux enseignements spirituels et à la philosophie bouddhistes. Aux États-Unis, en revanche, la pleine conscience est souvent enseignée et pratiquée comme un simple outil permettant de focaliser son attention et d'améliorer le bien-être, une conception de la pleine conscience que certains critiques ont qualifiée de "McMindfulness".

De plus la pleine conscience et le bouddhisme se sont développés dans des cultures asiatiques dans lesquelles la façon dont les gens se perçoivent diffère de celle des États-Unis. Plus précisément, les Américains ont tendance à se percevoir le plus souvent en termes d’indépendance, avec le "je" comme repère: "ce que je veux", "qui je suis". En revanche, dans les cultures asiatiques, les gens se perçoivent plus souvent en termes d’interdépendances, avec le mot "nous" comme point de repère : "ce que nous voulons", "qui nous sommes".

Les différences culturelles dans la façon dont les gens se perçoivent sont subtiles et faciles à ignorer. Mais tout comme des différentes qualités d'eau peuvent changer les saveurs lorsque vous cuisinez, je me suis demandé si différentes façons de penser à soi pouvaient modifier les effets de la pleine conscience.

La question était de savoir si les personnes à l’état d’esprit interdépendant dont l'attention se porte sur leurs propres expériences, pouvaient naturellement devenir plus serviables ou généreux en incluant la pensée des autres. Et si tel était le cas, serait-il alors vrai que des personnes indépendantes dont l'attention serait incitée à se focaliser davantage sur leurs objectifs et désirs individuels, puissent devenir plus égoïstes ?

Une évaluation des effets sociaux de la méditation de pleine conscience

J'ai soumis ces questions à ma collègue de l'université de Buffalo, Shira Gabriel, parce qu'elle est une experte reconnue des modes de pensée indépendants et interdépendants du moi. Elle a reconnu l’intérêt de la question, et nous avons donc travaillé avec nos étudiantes Lauren Ministero, Carrie Morrison et Esha Naidu pour mener une étude dans laquelle 366 étudiants se sont présentés au laboratoire ; c'était avant la pandémie de COVID-19 ; et ont participé soit à une brève méditation de pleine conscience, soit à un exercice de contrôle impliquant le vagabondage de l'esprit.

Nous avons également mesuré le niveau d'indépendance ou d'interdépendance dans lequel les personnes se situaient. (Il est important de noter que, bien que les différences culturelles dans la façon de penser le soi soient réelles, il existe une variabilité dans cette caractéristique même au sein des cultures).

À la fin de l'étude, nous avons demandé aux participants s'ils pouvaient aider à solliciter des dons pour une organisation caritative en remplissant des enveloppes à envoyer à des donateurs potentiels.

Les résultats montrent comment une brève méditation de pleine conscience a rendu les individus relativement interdépendants, plus généreux. Le fait de se livrer brièvement à un exercice de pleine conscience ; par opposition au simple vagabondage de l'esprit ;  semble augmenter de 17 % le nombre d'enveloppes remplies par les personnes à l'esprit interdépendant. Chez les personnes relativement indépendantes, la pleine conscience semble les rendre moins généreuses de leur temps. Ce groupe de participants a rempli 15 % d'enveloppes de moins dans la condition de pleine conscience que dans la condition de vagabondage de l'esprit.

En d'autres termes, les effets de la pleine conscience peuvent être différents selon la façon dont les gens se perçoivent. En fait, il existe un moyen relativement simple d'amener les gens à modifier leur perception d'eux-mêmes. Comme l'ont découvert les chercheuses Marilynn Brewer et Wendi Gardner, il suffit de leur faire lire un passage modifié de manière à contenir soit de nombreux énoncés  tels que "je" et "moi", soit de nombreux énoncés tels que "on" et "nous", et de leur demander aux sujet d'identifier tous les pronoms perçus. Des recherches antérieures ont montré que cette tâche simple amène de manière fiable les gens à se percevoir en termes plus indépendants qu'interdépendants.

Notre équipe de recherche a voulu voir si cet effet simple pouvait également modifier les effets de la pleine conscience sur le comportement social. Cette nouvelle étude a été réalisée en ligne en raison de la pandémie de COVID-19, mais avec les mêmes exercices.

Nous avons en premier demandé aux participants de réaliser la tâche sur les pronoms mentionnée ci-dessus. Ensuite, nous avons demandé aux gens s'ils étaient prêts à se porter volontaires pour contacter des donateurs potentiels d'une organisation caritative.

Nos résultats montrent qu’un bref exercice de pleine conscience chez des personnes qui identifiaient les mots "je/moi" réduisait de 33 % les chances de se porter volontaires. Les personnes qui identifiaient les mots "nous/nous" avaient 40 % plus de chances de se porter volontaires. En d'autres termes, le simple fait de modifier la façon dont les gens pensent à eux-mêmes sur le moment, en filtrant les pensées liées au moi, a modifié les effets de la pleine conscience sur le comportement de nombreuses personnes ayant participé à cette étude.

L'attention comme outil

Il convient de retenir que la pleine conscience peut avoir de bons ou de mauvais résultats sociaux, selon le contexte. Le moine bouddhiste Matthieu Ricard dit que même un tireur d'élite incarne une forme de pleine conscience. "L'attention pure", a-t-il ajouté, "aussi consommée qu'elle puisse être, n'est rien de plus qu'un outil". Oui, elle peut faire beaucoup de bien. Mais elle peut aussi "causer une immense souffrance".

Si les praticiens s'efforcent d'utiliser la pleine conscience pour réduire la souffrance, plutôt que de l'accroître, il est important de veiller à ce que les individus soient également conscients d'eux-mêmes en tant qu'êtres en relation avec les autres.

Sources

Michael J. Poulin ; Mindfulness Meditation Can Make Some Americans More Selfish and Less Generous ; The Conversation

Mindfulness selfishness ; Neuroscience News Psychology July 14, 2021