Les langues décrivent les émotions différemment à travers le monde
Selon les scientifiques les mots qui désignent les émotions dans près de 2500 langues parlée ont des significations différentes. Le mot somalien pour désigner la peur est cabsi. En tagalog, takot. En islandais, ótti. Mais ces traductions communiquent-elles la même expérience humaine ? Des chercheurs en psychologie de l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, en collaboration avec des scientifiques de l'Institut Max Planck, ont étudié les langues du monde entier et ont découvert que la façon dont les humains conceptualisent des émotions comme la colère, la peur, la joie et la tristesse peut varier selon les locuteurs des différentes langues.
Pour aborder le sujet, les chercheurs ont construit et analysé de grands réseaux de "colexification" en utilisant un échantillon global de langues. La colexification se produit lorsqu'un mot possède plus d'une signification dans une langue. Les colexifications signifient que les locuteurs d'une langue considèrent deux concepts comme similaires. Par exemple, les locuteurs russes utilisent le mot "ruka" pour décrire à la fois la main et le bras. Dans cette étude, les chercheurs ont demandé si les langues colexifiaient les émotions et, dans l'affirmative, quelles émotions étaient considérées comme similaires et distinctes.
Les chercheurs ont constaté que les langues décrivent les émotions différemment à travers le monde. Par exemple, certaines langues considèrent que le deuil est semblable à la peur et à l'anxiété, tandis que d'autres considèrent que le deuil est semblable au regret. Ils ont également constaté que la façon dont les cultures expriment les émotions est liée à la géographie. Les groupes linguistiques situés plus près les uns des autres partagent des points de vue plus semblables sur les émotions que les groupes linguistiques éloignés. "Cette différence est probablement due aux contacts historiques et aux communications entre les groupes proches, qui ont conduit à une meilleure compréhension commune des émotions ", a déclaré M. Jackson.
Indépendamment des facteurs géographiques, toutes les langues distinguent les émotions principalement en fonction de leur caractère agréable ou désagréable et de leur degré d'intensité, faible ou élevé. Par exemple, peu de langues considèrent que l'émotion de tristesse, qui est peu intense, est semblable à l'émotion de colère, qui est très intense, et peu de langues considèrent que l'émotion agréable de "bonheur" est semblable à l'émotion désagréable de "regret".
Ceci suggère qu'il existe des éléments universels d'expérience d'émotion qui peuvent provenir de l'évolution biologique. "Dans un échantillon aussi diversifié, j'ai été surpris de voir comment les langues universelles distinguent les émotions agréables des émotions désagréables", a dit Jackson.
Outre ces résultats, le projet montre comment les colexifications peuvent illustrer des associations sémantiques dans différentes cultures. "Ces grands réseaux associatifs nous aideront non seulement à étudier comment les humains donnent un sens à différents concepts, mais ils peuvent aussi faire la lumière sur les différences culturelles dans cette façon de donner un sens", dit M. Lindquist. "Les psychologues ont longtemps étudié la façon dont les humains comprennent leur monde, et les futurs chercheurs pourront appliquer notre méthode pour étudier la compréhension de différents types de concepts."
Sources
Joshua Conrad Jackson, Joseph Watts, Teague R. Henry, Johann-Mattis List, Robert Forkel, Peter J. Mucha, Simon J. Greenhill, Russell D. Gray, Kristen A. Lindquist. La sémantique des émotions montre à la fois une variation culturelle et une structure universelle. Science, 2019 DOI : 10.1126/science.aaw8160