Le bonheur est un élément essentiel du bien-être et de la santé de l'homme. Mal orientée ma recherche de bonheur peut présenter bien des inconvénients.
Le mot bonheur est celui qui a été le plus recherché sur Google au cours de la pandémie, mais cette recherche peut produire des effets opposés à ceux qui sont attendus.
Car la recherche active du bonheur peut nous rendre plus égocentriques. Elle peut exacerber des tendances individualistes à rechercher des plaisirs pour soi au détriment des autres (par exemple rompre une amitié parce que ce n'est pas amusant), de la société (le plaisir de conduire vite tout en mettant la vie des autres en danger) ou de l'environnement (laisser la climatisation allumée toute la nuit). Cet égocentrisme ne sert pas les besoins des autres, et de plus il rend plus solitaires les personnes qui recherchent le bonheur. Focalisées sur leur propre bonheur, ces personnes oublient le principe de base du vrai bonheur, qui consiste à le trouver en se mettant au service des autres.
Les personnes qui obtiennent les meilleurs résultats dans l’ensemble des classements sur le bonheur font état d'un bon soutien social (par exemple, elles soutiennent les autres lorsqu'ils sont dans le besoin et reçoivent en retour un soutien), elles mènent une vie utile qui leur permet de contribuer à la société (elles s'efforcent de développer des compétences qui servent bien les autres), elles ressentent de nombreuses émotions positives qui naissent souvent en compagnie d'autres personnes. Des travaux (3) montrent que nous sourions 30 fois plus souvent en groupe que seul. Il y a bien là un paradoxe : vouloir être plus heureux en se focalisant sur ses propres besoins réduit nos chances de connaître le bonheur.
Cette quête de bonheur peut nous faire prendre conscience de son absence dans notre vie. Plus nous accordons de l'importance au bonheur, plus nous pouvons être déçus de nos situations actuelles de vie. Et plus nous pouvons nous sentir désespérés à l'idée de trouver le bonheur, plus nous sommes susceptibles de ressentir des symptômes de dépression. (5) Nous pouvons de plus nous reprocher de ne pouvoir atteindre facilement le bonheur comme le font la plupart des autres personnes. Ce qui peut nous amener à considérer que quelque chose ne tourne pas rond chez ceux qui ne sont pas heureux, ce qui aggrave encore notre détresse. Notre obsession du bonheur a donné naissance à une industrie du bonheur promettant des solutions rapides pour nous rendre heureux.
Les effets négatifs de la pression sociale pour etre heureux
Egon Dejonckheere et ses collègues (7) ont étudié comment la pression sociétale perçue pour être heureux et non triste pouvait prédire les indicateurs émotionnels, cognitifs et cliniques du bien-être et comment cette relationpouvait changer avec les scores de bonheur national des pays (indice de bonheur mondial). Ils ont interrogé 7 443 personnes de 40 pays sur leur bien-être émotionnel, leur satisfaction à l'égard de la vie (bien-être cognitif) et leurs troubles de l'humeur (bien-être clinique) et ont demandé aux personnes de faire part de leur perception des attentes de la société pour se sentir positif.
Les auteurs ont constaté que la pression sociétale pour être heureux et non triste a été signalée dans presque tous les pays de leur échantillon et a été significativement corrélée avec les citoyens déclarant un mauvais bien-être, mais avec des variations lorsqu'on compare entre les pays. Le mal-être se traduit par une baisse de la satisfaction dans la vie, des émotions positives moins nombreuses et moins intenses et davantage de symptômes de dépression, d'anxiété et de stress. Pour la plupart des indicateurs de bien-être, la relation entre la pression sociétale pour être heureux et le mauvais niveau de bien-être était presque deux fois plus forte dans les pays dont le score à l'indice du bonheur mondial était plus élevé que dans les pays dont le score au bonheur national était plus faible.
Egon Dejonckheere, auteur principal, a déclaré : "Le niveau de bonheur que les individus se sentent obligés d'atteindre peut être inaccessible et révèle des différences entre la vie émotionnelle d'un individu et les émotions que la société approuve. Ce décalage entre un individu et la société peut créer un sentiment d'échec qui peut déclencher des émotions négatives. Dans les pays où tous les citoyens semblent être heureux, les écarts par rapport à la norme attendue sont probablement plus apparents, ce qui les rend plus pénibles."
Les situations dans lesquelles la quête de bonheur est inappropriée
Il peut être de plus inapproprié de parler de bonheur avec des personnes qui se trouvent dans des situations d'extrême pauvreté, d’injustices politiques, de conflits armés ou de catastrophes naturelles. Dans ces situations, les besoins prioritaires sont ceux de la survie et les initiatives invitant à accroître le bonheur peuvent conduire à des sentiments d’incompréhension, de manque de compassion, voire d’aliénation. Une recherche excessive du bonheur peut nous faire oublier que les sentiments de bien-être, qui vont au-delà des simples plaisirs, et qui ont pour source les liens avec les autres, le service qu’on leur apporte, les buts de vie, le sentiment d'accomplissement et l'estime de soi.
Voici selon Christian Van Nieuwerburgh et Jolanta Burke (1) cinq façons d'améliorer votre bien-être :
- Assurez-vous de pouvoir répondre à vos besoins fondamentaux et à ceux de vos proches.
- Consacrez régulièrement du temps à des activités agréables, comme une promenade, un jeu, ou encore regarder ou écouter quelque chose que vous aimez.
- Investissez-vous dans la création et le maintien de relations positives. Rencontrez vos amis, restez en contact avec les membres de votre famille, entretenez vos relations professionnelles.
- Restez en contact avec ce qui donne un sens à votre vie. Par exemple, en soutenant un mouvement, en suivant une foi ou en vous engageant pleinement dans votre rôle personnel ou professionnel.
- Améliorez les choses pour votre communauté, par exemple en plaidant pour de meilleurs services, en faisant du bénévolat dans votre communauté ou en contestant des pratiques injustes.
Commentaires pour les coachs de santé
« Les gens disent que ce que nous cherchons, c'est un sens à la vie. Je ne pense pas que ce soit ce que nous cherchons vraiment. Je pense que ce que nous cherchons, c'est l'expérience d'être en vie, afin que nos expériences de vie sur un plan purement physique aient des résonances dans notre propre être intérieur et notre réalité, afin que nous ressentions réellement le ravissement d'être en vie ». dit Joseph Campbell
La plus belle expérience humaine vient du « ravissement d’être en vie » dit Joseph Campbell. Si tous les humains sont en quête d’un sentiment de force de vie qui coule en eux, certains savent le chercher de la bonne manière, et d’autres pas. Certains chercheront cette force de vie en répondant aux besoins de l’égo, dans la satisfactions des plaisirs hédoniques (confort, nourriture, soins du corps..), ou en cherchant dans le monde extérieur les moyens d’anesthésier leurs peurs ou leurs insatisfactions de vie par l’acquisition de biens matériels (argents, signes extérieurs de richesse), la recherche de sensations fortes (vitesse, alcool, drogues, prises de risque), de distractions (réseaux sociaux, TV..), la recherche de récompenses pour la qualité de leur travail ou de leur conviction, ou la satisfaction de besoins affectifs (relations de dépendances) La question centrale de l’égo est « Qu’est-ce que le monde peut m’apporter pour assurer ma sécurité, combler des manques » et avoir l’illusion d’un sentiment de satisfaction, souvent bien peu durable, car les besoins de l’égo ne sont jamais totalement satisfaits, comme la faim ou la soif.
D’autres chercheront cette force de vie en répondant aux besoins de leur âme, en cherchant à apporter quelque chose d’unique à leurs communauté. Ces personnes savent se mettre en lien avec eux-mêmes pour définir le sens de leur mission, de ce qu’ils peuvent apporter aux autres et à leur communauté. Le bien-être le plus durable vient du sentiment d’être en lien avec les autres et de contribuer à servir les autres.
Il n’y a pas à choisir entre les besoins de l’égo et ceux de l’âme, les deux étant interdépendants. Le sentiment de satisfaction d’une vie bien remplie a pour source la satisfaction de deux besoins qui peuvent paraître antagonistes. La clé du bien être durable réside probablement dans un juste équilibre entre les besoins de l’égo (prendre soin de soi) et ceux de l’âme (servir les autres), car le bon sens vous dira qu’il est difficile de donner son sandwich aux autres quand on est nous-même affamé. Courir après la satisfaction des besoins de l'égo en négligeant ceux de lâme est certainement la source d'un stress chronique et de nombreuses maladies. L’autre clé du bonheur est de mettre les réussites (matérielles, financières…) de l’égo au service de la réalisation d'une mission au service des autres. Car comme diait Steve Jobs, l'idée d'être l'homme le plus riche du cimetière ne vous rendra pas plus heureux, alors que le sentiment d'avoir contribué à amélioré la vie des vos contemporains est source de bien-être durable et de guérison.
Sources
(1) Why the pursuit of happiness can be bad for you, and what you should pursue instead, by Christian Van Nieuwerburgh, Jolanta Burke, The Conversation; Or Medical X press https://medicalxpress.com/news/2022-02-pursuit-happiness-bad-pursue.html?utm_source=nwletter&utm_medium=email&utm_campaign=daily-nwletter
(2) The pursuit of happiness can be lonely. Mauss, I. B., Savino, N. S., Anderson, C. L., Weisbuch, M., Tamir, M., & Laudenslager, M. L. (2012). The pursuit of happiness can be lonely. Emotion, 12(5), 908–912. https://doi.org/10.1037/a0025299
(3) Provine, R. R. (2004). Laughing, Tickling, and the Evolution of Speech and Self. Current Directions in Psychological Science, 13(6), 215–218. https://doi.org/10.1111/j.0963-7214.2004.00311.x
(4) Can Seeking Happiness Make People Happy? Paradoxical Effects of Valuing Happiness. Iris B. Mauss, Maya Tamir, Craig L. Anderson, and Nicole S. Savino; Emotion. 2011 Aug; 11(4): 807–815. ; doi: 10.1037/a0022010
(5) Desesperately seeking happiness : valuing happiness is associated with symptôme and diagnosis of depression ; Brett Q. Ford, Amanda J. Shallcross, Iris B. Mauss, Victoria A. Floerke, and June Gruber; J Soc Clin Psychol. 2014; 33(10): 890–905.; Published online 2014 Dec 1. 10.1521/jscp.2014.33.10.890
(7) Dejonckheere, E., Rhee, J.J., Baguma, P.K. et al. Perceiving societal pressure to be happy is linked to poor well-being, especially in happy nations. Sci Rep 12, 1514 (2022). https://doi.org/10.1038/s41598-021-04262-z