Les attentes négatives d'une personne peuvent compromettre son traitement
La biologiste Penny Sarchet analyse la recherche sur l'effet nocebo dans un article du Guardian qui lui a valu d’être la lauréate du prix d'écriture scientifique de la Wellcome Trust.
Le simple fait de dire à un homme qu'il a un cancer peut-il le tuer ? En 1992, le Southern Medical Journal a rapporté le cas d'un homme à qui l'on avait diagnostiqué un cancer en 1973 et donné quelques mois à vivre. Après sa mort, cependant, son autopsie a montré que la tumeur dans son foie n'avait pas grandi. Son médecin interniste Clifton Meador ne pouvait pas croire qu'il était mort d'un cancer : "Je ne connais pas la cause pathologique de sa mort", écrit-il. Se pourrait-il qu'au lieu du cancer, ce soit son attente de la mort qui l'ait tué ?
Ce décès pourrait être un exemple extrême de "l'effet nocebo" - l'envers de l'effet placebo, bien mieux connu. Alors qu'une pilule de sucre inerte (placebo) peut vous faire vous sentir mieux, les avertissements concernant les effets secondaires fictifs (nocebo) peuvent également vous faire ressentir ces effets. Il s'agit d'un problème courant dans les essais pharmaceutiques. Une étude réalisée dans les années 1980 a montré que les patients cardiaques étaient beaucoup plus susceptibles de subir les effets secondaires de leurs anticoagulants s'ils avaient d'abord été avertis des effets secondaires du médicament. Cela pose un dilemme éthique : les médecins doivent-ils avertir les patients des effets secondaires si cela les rend plus probables ?
L'effet nocebo peut également être très contagieux.
En 1962, 62 ouvriers d'une usine de confection américaine ont été soudainement frappés de maux de tête, de nausées et d'éruptions cutanées, et l'épidémie a été attribuée à un insecte venu d'Angleterre dans une livraison de tissu. Aucun insecte n'a jamais été trouvé, et des "maladies psychogènes de masse" comme celles-ci se produisent dans le monde entier, affectant généralement des communautés proches et se propageant plus rapidement chez les femmes qui ont vu quelqu'un d'autre souffrir de cette maladie.
La recherche sur l’effet nocebo
Jusqu'à récemment, nous savions très peu de choses sur le fonctionnement de l'effet nocebo. Aujourd'hui, cependant, de nombreux progrès sont amenés par les scientifiques. Une étude menée en février par le professeur Irene Tracey d'Oxford (1) a montré que lorsque des volontaires ressentent une douleur nocebo, l'activité cérébrale correspondante est détectable dans un scanner IRM. Cela montre qu’au niveau neurologique, ces volontaires réagissent réellement à une douleur réelle et non imaginaire. Fabrizio Benedetti (2) et ses collègues de l'université de Turin, ont réussi à déterminer l'une des substances neurochimiques responsables de la conversion de l'attente de la douleur en une véritable perception de la douleur. Cette substance chimique, appelée cholécystokinine, transporte des messages entre les cellules nerveuses. Lorsque des médicaments sont utilisés pour empêcher la cholécystokinine de fonctionner, les patients ne ressentent aucune douleur nocebo, bien qu'ils soient tout aussi anxieux.
Les découvertes de Benedetti et Tracey offrent non seulement les premiers aperçus de la neurologie qui sous-tend l'effet nocebo, mais elles ont également des implications médicales très concrètes. Les travaux de Benedetti sur le blocage de la cholécystokinine pourraient ouvrir la voie à des techniques permettant de supprimer les effets nocebo des procédures médicales, et laisser entrevoir des traitements plus généraux de la douleur et de l'anxiété. Les conclusions de l'équipe de Tracey ont des implications surprenantes sur la façon dont nous pratiquons la médecine moderne. En surveillant les niveaux de douleur chez des volontaires à qui l'on avait administré un analgésique opioïde puissant, ils ont découvert qu'il suffisait de dire à un volontaire que l'effet du médicament s'était dissipé pour que la douleur de la personne revienne au niveau où elle était avant qu'on lui administre le médicament. Cela indique que les attentes négatives d'un patient ont le pouvoir de saper l'efficacité d'un traitement, et suggère que les médecins feraient bien de traiter les croyances de leurs patients, et pas seulement leurs symptômes physiques.
Effet nocebo et relation médecins patients
Cela met en lumière les relations entre les médecins et les patients. La société actuelle est procédurière et sceptique, et si les médecins insistent trop sur les effets secondaires auprès de leurs patients pour éviter d'être poursuivis en justice, ou si les patients se méfient du plan d'action choisi par leur médecin, l'effet nocebo peut faire échouer un traitement avant même qu'il n'ait commencé. L’effet nocebo introduit également un paradoxe : nous devons croire en nos médecins si nous voulons bénéficier pleinement des traitements qu'ils nous prescrivent, mais si nous leur faisons trop confiance, nous pouvons mourir de leurs déclarations.
Aujourd'hui, un bon nombre des maladies qui se développent rapidement sont relativement nouvelles et se caractérisent uniquement par un ensemble de plaintes. Les allergies, les intolérances alimentaires et les douleurs dorsales pourraient facilement être de véritables maladies physiologiques chez certaines personnes et des états induits par le nocebo chez d'autres. Il y a plus d'un siècle, des médecins ont découvert qu'ils pouvaient provoquer la respiration sifflante d'une personne souffrant d’un rhume des foins en l'exposant à une rose artificielle. Des observations comme celles-ci suggèrent que nous devrions réfléchir à deux fois avant de surmédicaliser l'expérience humaine. Nos soucis quotidiens devraient être considérés comme tels, et non comme des syndromes psychologiques avec des suites de symptômes, et les avertissements sanitaires qui accompagnent les nouveaux produits devraient être restreints et précis, et non vagues et généraux afin de dégager la responsabilité du fabricant.
Alors que les scientifiques commencent à déterminer comment fonctionne l'effet nocebo, nous ferions bien d'utiliser leurs découvertes pour gérer cette maladie du XXIe siècle qu'est l'anxiété.
Commentaires pour les coachs de santé
La clef de l'effet nocebo emble être la croyance accordée dans le produit par le patient, mais aussi, on l’ignore davantage, par le soignant lui-même. Le psychiatre Patrick Lemoine, spécialiste du phénomène avec Le Mystère du placebo (Odile Jacob, 1996), consacre un nouvel opus à l’effet nocebo. On peut se rendre authentiquement malade parce que l’on se croit, à tort, condamné à l’être.
Sources
The nocebo effect : Wellcome Trust science writing prize essay; Penny Sarchet; The Guardian Sun 13 Nov 2011 00.05
https://www.theguardian.com/science/2011/nov/13/nocebo-pain-wellcome-trust-prize
(1) The Effect of Treatment Expectation on Drug Efficacy: Imaging the Analgesic Benefit of the Opioid Remifentanil; Ulrike Bingel, Vishvarani Wanigasekera, Katja Wiech, Roisin Ni Mhuircheartaigh, Michael C. Lee, Markus Ploner and Irene Tracey; Science Translational Medicine 16 Feb 2011: Vol. 3, Issue 70, pp. 70ra14; DOI: 10.1126/scitranslmed.3001244
(2) The Biochemical and Neuroendocrine Bases of the Hyperalgesic Nocebo Effect; Fabrizio Benedetti, Martina Amanzio, Sergio Vighetti and Giovanni Asteggiano; Journal of Neuroscience 15 November 2006, 26 (46) 12014-12022; DOI: https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.2947-06.2006