Comprendre les bienfaits de l'anxiété

Comprendre les bienfaits de l'anxiété

L’anxiété peut être protectrice et aussi très productive en nous facilitant l'obtention de ce que nous désirons

Lorsque vous vous sentez anxieux ou qu'un proche se sent anxieux, comment réagissez-vous ?  Selon le professeur Tracy Dennis-Tiwary, nous sommes nombreux à réagir de manière erronée. Mal à l'aise face à notre tension, ou face au malaise de nos enfants, nous nous dépêchons de faire tout ce que nous pouvons pour faire disparaître ces ressentis. Par exemple nous rassurer sur l'avenir, prendre un smartphone ou nous dire qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

Mais en agissant ainsi, nous passons à côté du message de l'anxiété, explique Dennis-Tiwary. L'anxiété nous signale que nous nous préoccupons du futur et que nous voulons qu'il se déroule d'une certaine manière. En fait, l'anxiété libère de la dopamine, qui nous incite à rechercher des récompenses et à prendre des mesures pour obtenir ce que nous souhaitons. Par exemple, étudier davantage pour préparer un examen, prévoir un contrôle chez le médecin ou consacrer plus de temps à notre relation. "L'émotion de l'anxiété n'est pas brisée ; c'est la façon dont nous faisons face à l'anxiété qui l'est", écrit Mme Dennis-Tiwary dans son nouveau livre intitulé "Future Tense : Why Anxiety Is Good For You (Even Though It Feels Bad)".  Voici des extraits de l’entretien de Dacher Keltner, directeur fondateur du Greater Good Science Center et animateur du podcast The Science of Happiness, avec Dennis-Tiwary 

Pourquoi pensons-nous à l'anxiété de la mauvaise façon. 

Nous devons faire preuve de recul et de curiosité pour entendre une histoire différente de celle que nous avons l'habitude d'entendre à propos de l'anxiété. Comme nous n’aimons pas l’aspect désagréable de l'anxiété, nous aurons tendance à supposer que ce qui est si mauvais n'est probablement pas bon pour nous. Et les psychologues, ont pensé ainsi. Si l'on se sent mal, nous penserons à une maladie qu’il convient de prévenir, d'éradiquer et d'éviter. Ces mauvais ressentis représentent un signe de dysfonctionnement, ou peut-être même une incapacité à être heureux, en bonne santé mentale, et il convient donc d’y remédier.

Cette histoire va peut nous rendre plus anxieux à propos de l'anxiété et nous inciter à faire plus de choses inutiles face à l'anxiété, comme l’éviter et la supprimer, que de choses utiles. Pourtant le fait de vouloir se débarrasser d’une émotion ne fait que la renforcer. L’émotions n’est pas un interrupteur que l'on allume et éteint. En considérant que l’anxiété est une maladie, il convient d’acquérir des compétences pour y faire face.

Pourquoi ne parlons-nous pas des avantages de l'anxiété ?

De nombreux professionnels de la santé mentale se sont convaincus que la médicalisation de l'anxiété a apporté plus de bien que de mal. Avec les meilleures intentions du monde, ils ont adhéré au modèle médical et utilisé sa science pour justifier les efforts de traitements. 

En considérant l’anxiété comme une maladie, nous ne savons plus faire la différence entre des troubles anxieux et l'expérience humaine de l'anxiété. Nous avons donc perdu notre capacité à faire ces nuances sur la granularité émotionnelle. Nous avons abandonné l'idée clé que la santé mentale ne signifie pas l'absence de souffrance ou d'inconfort émotionnel, et que la santé mentale est un engagement à traverser la souffrance émotionnelle plutôt que  son contournement. 

Comment définir l’anxiété ?

L'anxiété est une appréhension face à un futur incertain. Cette définition est importante, pour pouvoir distinguer l'anxiété de la peur. Nous supposons en effet que les deux ressentis fonctionnent de la même manière, à savoir le déclenchement de la lutte ou de la fuite.

Mais la peur n'a rien à voir avec le futur. La peur nous enracine dans un présent qui nous confronte à une menace, par exemple un couteau sous la gorge, et nous prépare donc à faire face sur le moment.

N’étant associée au moment présent, l'anxiété fait de nous des voyageurs mentaux vers le futur. Nous utilisons notre capacité à faire des simulations du futur, sur quelque chose qui ne s'est pas encore produit, et à maintenir notre mental sur l’idée que quelque chose de mauvais peut arriver, mais qu'il peut aussi y avoir quelque chose de bon. C'est en quelque sorte comme attendre les résultats du médecin : vous pourriez avoir un cancer, mais vous pourriez ne pas en avoir.

En termes de message, l'anxiété nous dit qu'il y a cette incertitude, et nous prépare à naviguer dans cette incertitude, à éviter le désastre, à faire en sorte que les options positives deviennent une réalité. L’anxiété peut être protectrice, mais aussi très productive.

Comment positionner l’anxiété dans un cadre évolutionniste ?

Le troisième livre de la théorie de l'évolution de Charles Darwin s’intitulait "L'expression des émotions chez l'homme et les animaux". L'idée centrale est que lorsque quelque chose se sent mal, c'est pour attirer notre attention. L'anxiété ne nous laisse pas l'ignorer.

L’anxiété est comme un détecteur de fumée qui se déclenche dans votre maison, non pas pour se boucher les oreilles ou changer de pièce, mais pour déclencher une investigation de notre part. Nous ne prenons pas nécessairement le signal comme un appel à la panique, mais comme un besoin de rechercher la cause du déclenchement.

Donc l'anxiété nous dit que nous avons un futur incertain, et que nous nous soucions de ce futur que nous ne pouvons pas ignorer et que nous devons investiguer. En considérant l'anxiété comme une information à laquelle prêter attention, on réalise également que nous avons encore de l'espoir pour ce futur. Les émotions étant de l’énergie à agir, cette énergie a besoin d'aller quelque part.

L'anxiété est une émotion activatrice. Elle ne déclenche pas seulement la lutte ou la fuite, elle libère de la dopamine qui nous incite à rechercher des récompenses, mais aussi l'ocytocine, l'hormone du lien social. Des niveaux modérés d'anxiété, sans panique totale, augmente les niveaux d'ocytocine qui nous incite à rechercher des liens sociaux et du soutien. L’anxiété contient certaines de ses propres solutions.

Quelles sont les recherches sur le rôle utile et positif de l'anxiété pour modifier la réaction physique ? 

Dans son livre, Nassim Nicholas Taleb a inventé le terme « d'antifragilité », une notion très utile à utiliser pour penser l’anxiété. Quelque chose de fragile est comme une tasse à thé en porcelaine. Si vous la laissez tomber, elle se brisera en un milliard de morceaux, et vous ne pourrez jamais en recoller les morceaux pour retrouver son état initial. L'antifragilité est la notion selon laquelle il existe des choses qui tirent profit du désordre, des contraintes ou des défis.

Le système immunitaire en est un exemple, car si vous ne le confrontez pas au défi des germes, des bactéries et des virus, il n'apprendra jamais à construire une réponse immunitaire. Vous seriez comme l’enfant immunodéprimé dans sa bulle. Les muscles font de même, car ils s'atrophient si vous ne les faites pas travailler et ne les sollicitez pas.

Il en va de même pour nos émotions. Ce n'est qu'en se confrontant aux ressentis difficiles, et en apprenant les techniques pour y faire face, quitte à tomber parfois en sachant que l'on peut se relever, que l'on peut acquérir les compétences qui nous aideront ensuite à être résilients face à tous les coups du sort que le monde nous réserve.

Que faire si vous vous sentez anxieux à propos du futur ?

Le premier principe est que l'anxiété est une information qu’il convient d’écouter.
Le deuxième principe est que l'anxiété n'est parfois pas une information utile. Et dans ce cas relâchez-la et replongez-vous dans le présent en oubliant le futur.
Le troisième principe est que si en prenant un peu de recul vis-à-vis de l’anxiété, vous décidez qu'elle vous apporte des informations utiles concernant le monde, les choses qui vous intéressent, le futur, l'espoir, alors attachez-la à un objectif.

Par exemple si un enfant est anxieux à propos d'un contrôle de mathématiques, on peut l’aider à voir que l'anxiété montre son intérêt pour les mathématiques, son dur travail réalisé au cours du semestre et sa volonté de bien faire. Le maintien de l’anxiété montre par exemple le besoin d’étudier un peu plus. 

Dans quelles circonstances devrions-nous penser à d'autres approches de l'anxiété ? 

C'est le moment de rappeler la distinction entre l'anxiété et les troubles anxieux. On peut avoir une anxiété fréquente et assez forte chaque jour ne signifie pas un trouble anxieux. La différence clé est que le diagnostic de trouble anxieux implique une déficience fonctionnelle, ce qui signifie que la manière de faire face à ces intenses ressentis intenses perturbe notre capacité à vivre pleinement et bien notre vie.

Une personne peut par exemple ressentir au quotidien une forte anxiété sociale, tout en continuant à aller au travail même si elle est anxieuse à l'idée des jugements possibles de son collègue. Dans ce cas, elle trouve le moyen de faire avec. Mais la vie d’une personne anxieuse peut être perturbée si elle commence à éviter le travail, ou son sommeil est modifié de façon importante. Dans ce cas de troubles anxieux, il convient en thérapie d’interrompre le cycle d'anxiété et d'évitement.

Qu'est-ce qui a inspiré une perspective si radicalement différente sur l'anxiété ?

« Je pense qu'un profond sentiment d'échec m'a inspiré. » « Je suis un psychologue clinicien de formation, mais aussi un scientifique des émotions. Il y a cinq ou six ans, je me suis dit : "OK, voyons maintenant comment se porte la santé mentale. J'ai regardé autour de moi et je me suis rendu compte que nous ne faisions pas mieux, en dépit de la science, des outils, des pratiques et des interventions de bien-être fondés sur la science. J'ai dû me demander pourquoi et essayer de comprendre comment j'avais pu faire partie du problème et pourquoi ces solutions potentiellement formidables ne semblaient pas fonctionner. »

« L'anxiété peut être un allié. Mais comme tout allié, il faut négocier. Et c'est le travail difficile de l'être humain. Même lorsqu'elle nous bloque, l'anxiété peut être l'une des grandes sources de force intérieures dont nous disposons en tant qu’humains.

Commentaires pour les coachs de santé

Voici un commentaire riche d’informations sur l’anxiété. L’anxiété n’est pas un problème en soi, car elle fait partie des émotions humaines fondamentales dès qu’une personne aborde l’incertitude. Le problème vient avant tout de notre relation à l’anxiété, c’est à dire l’histoire que nous pouvons nous raconter à propos de l’anxiété. Une histoire médicale ou une histoire d'aventure ?  Selon les interprétations que nous pouvons en faire, en fonction de notre histoire personnelle, l’anxiété peut nous pousser à nous dépasser ou à nous paralyser. Nous pouvons avoir de la curiosité vis-à-vis d’une anxiété, ou être en colère d’être anxieux. Le problème n’est donc pas l’anxiété mais le jugement que vous portez sur vous même quand vous ressentez l’anxiété. On ne gère pas l’anxiété en l’évitant mais en en comprenant le message ou l’intention positive, et la traversant avec des ressources. Quelques recommandations pour bien gérer l’anxiété, avec une technique de Robert Dilts inspirée du travail de Virginia Satir. Pour cela disposer trois espaces au sol, puis d’établir un dialogue avec les émotions. 

1-Premier espace : soyez pleinement présent aux sensations mêmes désagréables associées à l’anxiété et à ce qui se passe dans votre corps. C’est le premier ressenti. Soyez juste présent aux expressions sensorielles de l’anxiété sans faire de dialogue mental

2-Second espace : faites un pas en arrière pour vous observer en train de ressentir de l’anxiété, souhaitez la bienvenue à l’anxiété pour l’accueillir en tant que précieux messager, et demandez-vous : « Qu’est-ce que je ressens quand je m’observe en train de ressentir de l’anxiété ? » « De la colère ? de la peur ? de la honte ? de la culpabilité, etc. »   Ceci est le second ressenti le plus souvent plus inconfortable que le premier. Qu’est-ce que ce second ressenti évoque de votre histoire personnelle, de vos croyances personnelles ? Quelle est la fonction positive de ce second ressenti ? Qu’est-ce que ce ressenti cherche à faire de bon pour moi ?De quelle ressource j’aurais besoin pour transformer ce second ressenti en énergie positive ? 

3-Troisième espace : associez-vous aux ressources positives susceptibles de répondre à l’intention positive du second ressenti. Quand vous ressentez pleinement cette ressource en vous, ancrez-la par un geste et une image. Puis tout en maintenant cette ancre, retournes dans le second espace en notant comment l’inconfort du second ressenti se transforme. Puis tout en maintenant l’ancre, retournez dans l’espace du premier ressenti, celui de l’anxiété, en prenant le temps de noter la perception différente que vous pouvez avoir de cette anxiété. 

Sources

Neuroscience News Psychologie-11 septembre 2022, https://neurosciencenews.com/anxiety-dopamine-21390/