Comment le cerveau sait qu’il contrôle une situation ?

Comment le cerveau sait qu’il contrôle une situation ?

Le cerveau calcule sa contrôlabilité d'une situation en fonction de l’état interne du sujet

Définir si nous avons le contrôle sur une situation n'est pas seulement une question d'essais et d'erreurs. Notre capacité à le faire est fortement influencée par des facteurs internes, en particulier par notre état mental. Des niveaux élevés de stress, d'anxiété et de dépression altèrent le sentiment de contrôlabilité des personnes, les amenant souvent à croire que leurs actions n'ont pas d'importance, même lorsqu'elles en ont.

Depuis des décennies les scientifiques étudient le fonctionnement de ce processus cognitif complexe. Cependant, en raison de confusions conceptuelles et méthodologiques, les progrès ont été lents. Dans une nouvelle étude, des chercheurs de la Fondation Champalimaud au Portugal et du Donders Institute for Brain Cognition and Behaviour aux Pays-Bas, présentent une percée dans ce domaine. "Le mécanisme que nous avons découvert n'avait jamais été envisagé auparavant, mais nous avons rassemblé de nombreuses preuves, allant du comportement à l'activité neuronale, qui suggèrent fortement qu'il s'agit bien de la façon dont le cerveau calcule la contrôlabilité", a déclaré l'auteur principal de l'étude, Romain Ligneul, chercheur postdoctoral à la Fondation Champalimaud.

Comment mesurer objectivement le sentiment subjectif de contrôle d'une personne

Pour déterminer comment le cerveau évalue la contrôlabilité, l'équipe a d'abord dû concevoir la bonne expérience. Mais comment mesurer objectivement le sentiment subjectif de contrôle d'une personne ? "Pour donner une idée intuitive de la façon dont notre tâche fonctionne, j'aime utiliser une métaphore", a déclaré M. Ligneul. "Imaginez que vous vous promenez dans une maison en réalité virtuelle dans laquelle chaque pièce a deux portes qui changent parfois de couleur."

L'équipe a conçu différentes maisons qui semblent identiques, mais qui présentent une différence essentielle : elles peuvent être contrôlables ou non. Dans les "maisons contrôlables", la couleur de la porte détermine la pièce à laquelle elle mène. Une fois que vous avez appris les associations correctes entre la couleur de la porte et les pièces, vous pouvez choisir où aller ensuite. En revanche, dans les "maisons incontrôlables", la séquence des pièces est fixe. Ainsi, par exemple, si vous vous trouvez dans la cuisine, l'une ou l'autre porte vous mènera à la salle de bains, ce qui rend vos choix insignifiants.

"Comme les maisons se ressemblent, nous pouvons faire passer les participants d'une maison contrôlable à une maison incontrôlable sans qu'ils le sachent", explique M. Ligneul. "Ensuite, nous les laissons explorer un peu la maison avant de leur demander : "Quelle pièce se trouve derrière l'une ou l'autre des deux portes en face de vous ?".

Lorsque la question surgit, il se peut que vous n'ayez pas encore bien saisi ce qui se passe. D'autant plus que de temps en temps, l'algorithme perturbe les sujets en modifiant les associations entre la porte et la pièce. Pourtant, votre réponse révélera ce que votre intuition vous dit. Si vous sentez que vous n'avez pas le contrôle, vous direz que les deux portes mènent à la même pièce. En revanche, si vous pensez que vos choix sont importants, vous indiquerez une pièce différente pour chaque porte.

Deux processus d'apprentissage qui se déroulent en parallèle : l'acteur et le spectateur.

Grâce à ce plan expérimental astucieux, l'équipe a découvert un nouveau mécanisme qui explique comment le cerveau évalue la contrôlabilité. "Nous avons découvert qu'il existe deux processus d'apprentissage qui se déroulent en parallèle : l'acteur et le spectateur. Le cerveau surveille et compare en permanence ces deux processus pour déterminer lequel est le meilleur pour faire des prédictions", explique Zachary Mainen, chercheur principal à la Fondation Champalimaud et co-auteur de l'étude.

"Une partie de tennis constitue un bon exemple de la façon dont les systèmes fonctionnent" a ajouté M. Ligneul. "Le système acteur serait dominant lorsque c'est votre tour de servir car votre cerveau doit calculer les actions qui génèrent la meilleure trajectoire. En revanche, si vous êtes en position de retour, vous ne pouvez rien faire pour déterminer où la balle va atterrir. Dans ce cas, votre cerveau opterait donc pour le système du spectateur afin d'être prêt lorsque la balle se présentera à vous."

L'exposition à des facteurs de stress incontrôlables conduit à l’illusion de manque de contrôle

Le nouveau modèle d'apprentissage a obtenu un soutien supplémentaire en y ajoutant le stress à l'équation. "De même que pour l'anxiété et la dépression, l'exposition à des facteurs de stress incontrôlables est connue pour conduire à des illusions de manque de contrôle", a déclaré Ligneul. "Nous avons donc pensé que si notre modèle était effectivement correct, alors l'exposition des participants à de tels facteurs de stress avant la tâche devrait faire pencher la balance vers le système du spectateur."

Le test de stress a confirmé leur hypothèse. Les participants ayant reçu une série de légers chocs électriques incontrôlables ont eu tendance à adopter la position du spectateur. Et plus leur niveau de stress général était élevé au départ, plus la manipulation était efficace. En revanche, même s'ils ont effectivement reçu le même nombre de chocs, les participants qui pouvaient agir pour éviter les chocs ont mieux réussi à appliquer le modèle de l'acteur.

Pourquoi ces expériences précoces influenceraient-elles la perception de la contrôlabilité des personnes par la suite ? Selon Ligneul, il existe deux hypothèses. La première est que des niveaux de stress élevés peuvent déclencher des processus émotionnels qui altèrent les performances dans les tâches cognitives. L'autre, qu'il juge plus probable, est qu'ils sont en fait simplement rationnels. "Leur expérience leur a appris que le monde est incontrôlable. Ainsi, lorsqu'ils abordent une nouvelle situation, cette hypothèse préalable guide leurs prédictions et leur processus de décision", a-t-il suggéré.

Dans la dernière partie de l'étude, les scientifiques ont examiné la base neuronale de ce mécanisme. Cette fois, les participants ont effectué la tâche à l'intérieur d'un scanner IRM qui recueillait des images de leur activité cérébrale en temps réel. Grâce à cette approche, l'équipe a pu localiser plusieurs zones clés du cerveau.

 

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Cette image montre un grand nombre de portes menant à différentes parties d'une maison. Dans les "maisons contrôlables", la couleur de la porte détermine la pièce à laquelle elle mène. En revanche, dans les "maisons incontrôlables", la séquence des pièces est fixe, ce qui rend vos choix insignifiants. 

"Nous avons trouvé certaines structures cérébrales qui encodent des signaux relatifs au processus d'apprentissage de l'acteur et d'autres qui encodent les deux processus. Cela signifie que le cerveau peut comparer ces différentes sources à un moment donné pour estimer la contrôlabilité", explique Lignuel. Est-il surprenant que la même zone du cerveau représente les deux processus ? "Pas du tout", a répondu M. Lignuel. "Comme les deux processus doivent être comparés en permanence, la colocalisation permettrait de s'assurer que la comparaison peut se faire rapidement.

Eclaircir les raisons pour lesquelles la dépression entraîne des illusions de manque de contrôle

Forte de ces connaissances, l'équipe prévoit une série d'études de suivi. "Nos résultats ont de vastes implications dans divers domaines", a déclaré M. Ligneul. "Nous sommes impatients d'étudier comment ce mécanisme évolue avec l'âge et comment divers facteurs, comme le fait de grandir dans un environnement stressant, l'affectent. Nous sommes également impatients d'explorer ce mécanisme dans le contexte des troubles mentaux. Nous pensons que cette approche permettra d'éclaircir les raisons pour lesquelles la dépression entraîne des illusions de manque de contrôle, ainsi que le mode d'action des médicaments psychiatriques, qui sont des questions largement ouvertes", a-t-il conclu.

Commentaires pour les coachs de santé

Le sentiment de pouvoir contrôler une situation est donc fortement influencée par des facteurs internes, en particulier par notre état mental. « Des niveaux élevés de stress, d'anxiété et de dépression altèrent le sentiment de contrôlabilité des personnes, les amenant souvent à croire que leurs actions n'ont pas d'importance, même lorsqu'elles en ont. » Autrement dit le stress peut renforcer la croyance que la personne n’est pas en mesure de changer une situation. Cette idée se vérifie dans les pratiques d’accompagnement au changement. Une personne qui dit « Mon problème ne peut être changé » ne parle probablement pas de son problème, mais de sa relation à son problème (l’état interne avec lequel il observe son problème), ou de la relation à celui ou celle (coach, psychothérapeute…) qui accompagne le coaché (la qualité de la relation coach-coaché). Donc avant d’aborder un changement, la priorité est de s’installer (coach et coaché) dans un état interne qui favorise le changement souhaité. Il convient de prendre avec son client tout le temps nécessaire d’installer un état de ressource et de le maintenir tout au long de la séance de travail. Cet état interne est susceptible de donner au client le sentiment qu’il est en mesure de changer son problème. Pour Stephen Gilligan le changement humain nécessite trois conditions : une personne qui est congruent dans sa demande de changement, une relation de soutien en mesure d’apporter un haut niveau de bienveillance, accueil, confiance, acceptation…, et enfin un rituel de changement, par exemple une technique. Il n’y a aucune magie dans une technique, la magie vient de l’état interne avec lequel la situation problématique est abordée. 

Sources

Stress-sensitive inference of task controllability by Romain Ligneul et al. Nature Human Behavior ; Published: 10 March 2022

How Does the Brain Know Whether Our Actions Actually Make a Difference? ; Neuroscience News 12 mars 2022 ; https://neurosciencenews.com/controllability-neuroscience-20167/